Le Jeune imam

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17 ans après SHEITAN, Kim Chapiron réalise un film plus calme – Mais pas forcément le film de la maturité.

Quand le « retour au bled » rencontre le thriller et la comédie dramatique

Kim Chapiron fait-il encore du cinéma de sales gosses ? En quelque sorte. Son dernier film, Le Jeune Imam, s’ouvre sur un prologue. Ali, un garçon roublard, vole une importante somme d’argent à un ami de sa mère (Hady Berthe). Cette bêtise n’est ni mignonne, ni insouciante. En s’y intéressant, le film fait la promesse de parler d’un sujet fertile, à savoir de ce qui se passe quand un enfant va réellement trop loin. Et de ce qui se passe quand un parent se sert de ce genre de transgressions pour retirer des droits à son enfant : Le droit de vivre dans le pays dans lequel il est né, le droit à un amour inconditionnel. La relation mère-fils est fondamentale dans la vie de nombreuses personnes. Elle est destinée à faire d’un adulte ce qu’il est. On pense à la série Les Sopranos, dans laquelle le mafieux dépressif joué par James Gandolfini était totalement soumis à l’image maternelle dysfonctionnelle qui avait asservi sa psyché. Et si on n’attend pas du Jeune Imam la sophistication d’écriture qui caractérise la série de David Chase, on aurait quand même souhaité que le résultat final soit un peu plus intéressant qu’il ne l’est.

12 ans après avoir été envoyé refaire son éducation à la madrasa du village malien d’où vient sa mère, Ali (interprété, à l’âge adulte, par Abdulah Sissoko) est changé, assagi. Enfin de retour en région Parisienne, il aimerait devenir entrepreneur. Ou apprendre le français à des migrants qui ne le parlent pas. Ou devenir imam. Le cinéma français a le rapport au commentaire social qu’on lui connaît. De nombreux excellents films s’emparent du milieu associatif ou de communautés mises à la marge afin d’y raconter des récits forts. Le Jeune Imam ouvre des pistes qui tendent vers ce sous-genre, mais ne les explore pas. Quand Ali devient enfin un « jeune imam », un tiers du film s’est déjà écoulé. Quand les problèmes liés à sa position apparaissent, un autre tiers a suivi.

Les prêches d’Ali, dont on pourrait s’attendre qu’ils soient un point fort du long-métrage, sont expédiés le temps d’un montage musical. Ce dernier nous donne l’impression de regarder un film de sport, la foi du personnage plus une performance qui lui donne accès à un statut qu’une vraie vocation.

Un commentaire sur la foi à l’heure des réseaux ? Plutôt une mention expéditive 

Les acteurs sont tous plutôt justes. La photographie de Sylvestre Dedise est belle, quoique peu innovante. Malgré ses qualités, Le Jeune Imam fruste : On se dit que Kim Chapiron, Ladj Ly ou les deux autres scénaristes de l’œuvre auraient dû faire un choix. Un film sur un escroc repenti – Les Anges aux figures sales (Michael Curtiz, 1938) relocalisé à Montfermeil – ou un film sur l’islam. Du peu qu’on entende des interventions d’Ali, on devine que ses positions sont celles d’un jeune qui veut réconcilier sa religion avec un rêve de vivre-ensemble français. Doit-on comprendre que la France lui a tellement manqué, pendant son exil, qu’il est prêt à tous les compromis pour elle ? Ou peut-être essaie-t-il d’être consensuel, afin de pouvoir gagner en fidèles et redynamiser sa mosquée. On ne le saura pas : Le héros irrésolu d’un film en haute résolution, Ali n’est pas secoué par des dilemmes, c’est un personnage flou ! Le film donne l’impression de tacler des sujets durs, mais alors que des nœuds dramatiques trouvent leurs issues dans des fondus au noir déflateurs, le spectateur réalise qu’il n’a rien appris de nouveau sur ce que cela fait d’être musulman en France, en 2023. À la limite, il aura compris que le hadj, c’est important.

Une bonne trouvaille, cependant – La seule qui semble s’inscrire dans l’esprit Kourtrajmé, collectif artistique ambitieux dont font partie Chapiron et Ly. Rebecca Brou, dans le rôle de la plus jeune sœur d’Ali, comprend tout de cette période de l’enfance où on n’a pas encore quitté le monde des dessins animés, mais où on commence à prendre la mesure de la société des adultes, pleine de responsabilités et de conséquences. Petite fille taquine et choyée par une mère autrefois terrible, elle réalise peu à peu qu’une vie complexe précédait sa naissance, et ça provoque sa curiosité. Elle ne sait pas ce que son grand frère a pu faire, exactement, mais elle devine qu’il a fait quelque chose de mal. Les adultes autour d’elle essaient de préserver son innocence. Quand les circonstances rendront cette naïveté propre à l’enfance impossible, le jeu de Brou brise le cœur du spectateur.

Malheureusement, cela ne suffit pas à redonner au film le souffle dont il a tant besoin. Et à trois ou quatre idées très fortes, Le Jeune Imam peine à trouve la quatrième et demie qui ferait d’elle une œuvre importante.

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Durée : 98 mn


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