Sorti en 1973, au plus fort du conflit israélo-palestinien, La Valise est un film tout à fait surprenant et risqué, anticipant Les Aventures de Rabbi Jacob (1973) de Gérard Oury par son mélange de comédie populaire et de fond politique grave, ainsi que par son message de paix. La relative naïveté avec laquelle Georges Lautner s’empare de son sujet sans mesurer les conséquences est pour beaucoup dans la réussite de l’entreprise, entre mélancolie et drôlerie.
Chassé-croisé au Moyen Orient
Difficile d’imaginer aujourd’hui une comédie mise en route autour d’un tel sujet. Si Lautner n’abandonne pas sa loufoquerie légendaire (la parodie de western spaghetti en arabe en ouverture), le film étonne par le ton romantique et désenchanté qu’il dégage. Le trio principal, aux registres nuancés, aborde avec talent tous les virages thématiques du récit. Jean-Pierre Marielle, par son jeu complexe, parvient à donner à son personnage une lumière tout à la fois amoureuse et burlesque, tout en incarnant une certaine forme de classe, de distinction, le rendant parfaitement complémentaire avec Michel Constantin. Ce dernier est son opposé en tout point, espion franchouillard mal fagoté, fraudant ses notes de frais, gentiment raciste sur les bords et ahuri avec les femmes. C’est cette simplicité et la sympathie dégagées par le jeu de Constantin qui le rendent si attachant.
Face à eux, Mireille Darc explose dans un rôle bien éloigné de la jolie ingénue des débuts, s’affirmant définitivement comme la Femme fatale française des années 1970. Une nouvelle fois, Lautner soigne les apparitions de sa muse, plus incendiaires que jamais. La première rencontre avec Marielle, en robe de soirée dans le bar de l’hôtel, est un grand moment, tout comme le fameux full frontal de Françoise vue à travers le reflet d’une vitre. Le scénario de Francis Veber, expert en quiproquos, joue habilement de la situation précaire de Marielle, à coups de gros gags le voyant sacrément malmené dans sa valise, l’alternance colère/élan de tristesse forcée s’avérant des plus amusant. Son triangle amoureux fonctionnant parfaitement dans ses différences, Lautner peut dès lors orienter le film vers une direction plus aventureuse.
Les Barbouzes sont fatigués
Tout au long de ce qui est un fort élégant film d’aventure – beau travail du directeur de la photographie Maurice Fellous lors des scènes dans le désert –, on retrouve en filigrane des thèmes abordés dans La Grande sauterelle (1967), pour le professionnel détourné de son objectif par LA femme, et dans Les Barbouzes (1964), pour la lassitude de l’agent aspirant à une vie plus tranquille. Malgré leur rivalité, le duo Marielle/Constantin se rejoint dans cette usure qui donne tout son cachet à l’œuvre. Le personnage du Commandant égyptien, joué par Amidou, se greffant un peu grossièrement au trio sur la fin, permet donc de délivrer un message de paix naïf mais sincère et appuie la tonalité plus mélancolique de la deuxième partie du film. Les conflits divers ne semblent plus avoir d’importance quand il faut gagner le cœur de Françoise et le scénario révèle l’éveil de ces hommes redécouvrant soudainement ce qui est finalement l’essentiel.
Ce traitement tout en finesse se voit transcendé lors des meilleurs moments par la belle musique de Philippe Sarde et son entêtante valse au piano faisant office de thème principal. Une des scènes les plus marquantes étant sans doute cette séquence sur la plage où les héros se disputent une énième fois les faveurs de Françoise, le piano créant une distance par rapport à leurs agitations, tandis que Lautner alterne les champs/contrechamps entre le regard amusé de Françoise sur ses prétendants et les mines ahuries de ces derniers. La jolie fin ouverte relançant le cycle de la séduction est également une des plus belles de l’œuvre de Lautner.
Le contexte politique entraîna une polémique à la sortie du film, Lautner se voyant notamment pris à parti par des amis juifs. Plus de quarante ans plus tard, rien n’a changé ou presque, et l’on se doit donc d’apprécier d’autant plus le message du film, tout en saluant son audace.