Un film fragmenté pour un genre multiple, changeant
Le film de banlieue est-il en train de connaître une crise identitaire ? Il a peut-être toujours été en perte de repères esthétiques. Chaque cinéaste qui s’intéresse au sous-genre a une idée différente de ce à quoi devrait ressembler une œuvre qui se déroule dans une cité, et chaque succès qui paraît définitif donne place au suivant, des pièces disparates dans la mosaïque qui compose ce corpus. Dans son second long-métrage, Cédric Ido fait une proposition qui intrigue : Et si l’avenir du film de cité se trouvait du côté de l’anticipation ? Et si le cinéma de banlieue, plus qu’un autre, pouvait s’épanouir dans les codes de la science-fiction, dans ses carcans ?
Deux jours avant un alignement de Mars et Vénus avec la Terre, Daniel (Max Gomis) cache quelque chose à son frère paraplégique (Steve Tientcheu) et à son coach sportif (Thierry Godard). Il va bientôt déménager à l’étranger, quittant le quartier dans lequel il a toujours vécu, et qu’il ne reconnaît plus, de toute évidence, depuis qu’il a été investi par un gang de jeunes appelés les Ronins. Plus tard, dans le film, Daniel se fera traiter de lâche pour son refus de dire des choses sensibles à des personnes à qui il tient. On comprend vite comment cet homme s’est construit dans une peur de la confrontation : Dans le rôle de son grand frère Joshua, Tientcheu ose être acide, acerbe, un personnage désagréable et amer qui en veut au monde entier. S’il a de l’amour pour les autres habitants de ces grands ensembles, il se garde bien de le montrer. Il n’en a sans doute pas : Il semble déborder de mépris pour son quartier, mais n’a aucune patience ni compréhension non plus pour les gens qui veulent s’en extirper. Lui, après tout, n’a plus cette opportunité depuis l’accident qui lui a coûté l’usage de ses jambes et qui a tué Karl, un de ses amis. De son côté, Christophe (Jean-Baptiste Anoumon), le frère cadet de cet ami disparu, sort de prison. Persuadé d’avoir été dénoncé par les Ronins, il entend bien obtenir réparation, ses actes de revanche provoquant une chaîne de réactions dans laquelle vont se retrouver impliqués Daniel et Joshua.
Un scénario en mal de deuxième ou de troisième jet
Par quel angle La Gravité traite-t-elle des questions sociales qui caractérisent le cinéma de banlieue ? Est-ce un film tauromachique, pyrotechnique comme avait pu l’être l’Athéna de Romain Gavras ? Est-ce une œuvre urgente, effervescente, comme Les Misérables de Ladj Ly ? On se souvient de Gagarine, de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, dans lequel le héros rusait et redoublait d’audace, utilisant des assemblages de bric et de branque pour rénover à lui seul sa cité. Dans La Gravité, les Ronins ne sont pas seuls. Ils agissent en bande, de manière extrêmement organisée. Avec l’argent qu’ils dégagent grâce au trafic d’une drogue synthétique, ils investissent dans les bâtiments, se proposent d’aider les habitants. Une sorte de mafia sociale, le gang des Ronins est la trouvaille la plus intéressante du film, des antagonistes fanatiques de pop-cultures vêtus en bleu sous des plastrons de super-équipe saïan. L’un des chefs est interprété par le tout jeune Bilel Chegrani, qui jouait déjà dans Arthur Rambo. La Gravité aurait gagné à emprunter de sa sobriété à cet autre long-métrage.
On l’aura compris, avec un tel synopsis, La Gravité est une œuvre chargée, beaucoup trop remplie de promesses et de retournements. Faire fonctionner un film de science-fiction à la française était déjà un jeu dangereux : le faire avec tous ces éléments l’est davantage. Même les plus divertissantes des composantes du film (entre autres, le côté mystique-païen réinventé par le biais manga des Ronins) peine à être aussi amusantes qu’elles pourraient l’être quand on les oppose à des scènes de confrontation qui donnent un peu à rire et à des thématiques laissées en plan. Le métier de dialoguiste n’est plus tellement populaire, de nos jours. Ido aurait pourtant gagné à avoir de l’aide de ce côté, les échanges qu’il écrit sont bien trop premier degré !
Travaillant l’apesanteur, le film en devient inerte
En réalité, le long-métrage se sent obligé d’appuyer sur ses métaphores les plus balourdes afin qu’on ne les oublie pas : Le fameux alignement des planètes dont on nous parle longuement n’aura d’incidence sur le récit qu’à la toute fin. Si les personnages sont incarnés, c’est bien plus grâce à l’implication des acteurs qu’à la qualité d’écriture du film. Le duo Daniel/Joshua vit une histoire, Christophe en vit une autre, tout à fait séparée. Malheureusement pour Anoumon, comédien souvent touchant dans le monde du doublage, c’est celle-ci qui est la moins convaincante. Christophe, fouineur en mission, semble allergique à la discrétion.
Y-a-t-il des choses à sauver de La Gravité ? Quelques-unes. La photographie de David Ungaro, qui réussit à ne pas rendre ridicule un ciel rouge. La bande-son des frères Galperine, duo également derrière celle de Gagarine. Une scène de baston est presque enthousiasmante : L’inspiration étant clairement Old Boy, l’équipe créative aurait pu jouer le jeu et la tourner en plan-séquence. Du reste, La Gravité est un film bancal. Je dirais même qu’il est plus incomplet que mauvais, des clés scénaristiques entières semblant avoir été tout bonnement excisées du synopsis original : « Les deux grands, Karl et Joshua, se challengent et escaladent les terrasses en ruine. Mais un hydravion passe si prêt que Joshua glisse et entraine Karl dans sa chute. » À ce niveau, on est face à un film à trous, ce n’est plus une gaffe, c’est un séminaire d’auto-sabotage !