La Femme des sables (Suna no onna)

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En 1964, Hiroshi Teshigahara réalisa son deuxième film, inspiré d’un livre de Kôbô Abé avec lequel il collabora encore par la suite pour percer à jour l’âme insondable de l’être humain. Cherchant quelque part le thème original susceptible de le satisfaire, Teshigahara s’affranchit alors des codes du cinéma traditionnel et accompagne dans chaque plan son […]

En 1964, Hiroshi Teshigahara réalisa son deuxième film, inspiré d’un livre de Kôbô Abé avec lequel il collabora encore par la suite pour percer à jour l’âme insondable de l’être humain. Cherchant quelque part le thème original susceptible de le satisfaire, Teshigahara s’affranchit alors des codes du cinéma traditionnel et accompagne dans chaque plan son protagoniste (reflet d’un malaise sournois) s’enfoncer dans le désert jusqu’à livrer une œuvre pudique, et finalement profondément humaine dans son dénouement quasiment irrationnel. L’homme par qui tout commence, photographie et répertorie des insectes, s’évadant dans des terres arides et désolées pour se retrouver. Cherchant un lieu où passer la nuit, il est amené chez une habitante dont la cabane se trouve au fond d’un gouffre de sable. A son réveil, l’échelle a disparu, le sable du désert l’enserre de son funeste destin et l’homme ne peut que se tourner vers la femme qui l’a accueilli.

Dès son introduction, le réalisateur oppose l’univers tapageur de la ville et de la civilisation au calme intériorisé de son personnage qui la fuit. Trouvant refuge dans un désert muet susceptible de le comprendre comme de ne lui livrer que ce qu’il cherche (des insectes), l’homme se perd dans l’étendue de sable, omniprésente. C’est ce sable principalement qui s’impose comme l’entité du film : envahissant chaque cadre, s’insinuant nerveusement dans la cabane abritant le couple, revenant inlassablement rythmer le quotidien des habitants établis sur le désert.

Obligés de lutter quotidiennement contre l’avancée progressive du sable, les deux protagonistes sans identités se croisent, apprennent à se connaître et cherchent chez l’autre cette différence qui les fait continuer à espérer. Expurgés de toutes caractérisations, ils deviennent interchangeables et passent au service d’une fable un rien cruel sur un homme et une femme luttant contre les éléments. Le sable se fait peu à peu le catalyseur de leur rencontre, les rapprochant sans qu’un besoin explicite ne soit fait mention. En les rapprochant, il avance, tombe, glisse perpétuellement, comme forcé de se mouvoir pour sortir le paysage d’une torpeur étouffante. Magnifié par des plans d’horizons mettant en valeur la perfection de ses traits, l’étendue ensoleillé devient un refuge onirique absorbant tout ce qui se présente à lui ; l’homme s’y perd et ses certitudes se disloquent sous ses pieds, comme autant d’évasions ratées. Et alors que les enfants de La Nuit du chasseur parvenaient à s’enfuir à travers la nature et sa faune bienfaisante, l’homme cerné de sable et d’insectes se perd dans un milieu aride et sec d’où il cherchera une issue improbable.

Avec cet essai marquant, Teshigahara évoque les problèmes d’une époque en pleine urbanisation, laissant de côté les zones excentrées d’une ville, niant par l’ignorance leur existence. L’individualisme, sentiment répugnant pour l’instituteur cherchant à dispenser ses connaissances, est pour la femme la clef d’une survie précaire, au jour le jour. Sans pour autant être en danger, les personnages se voient forcés de remettre en cause leur façon de penser, les amenant à se fondre dans le paysage sans cesse recouvert de sable, jusqu’à n’agir que pour et par lui. Perdant sa logique purement scientifique, l’homme éduqué s’abandonne à son sort, vers une résignation signifiant son acceptation des conditions de l’environnement. Ce cheminement intérieur lourd à retranscrire s’affranchit d’une représentation traditionnelle pour tendre vers un idéal de fable étrange et fascinante, évoquant la nature et les relations des hommes entre eux.

Le film est nourri d’un surréalisme obsédant, à l’image de ces plans tortueux sur l’aridité environnante conviant le fantastique à s’installer en ces lieux, ainsi que le feront plus tard des insectes prisonniers de la cabane construite sur leur nature. Le climat oppressant né de ces images et couplé à un noir et blanc parfaitement clair, même en pleine nuit, ajoute à la confusion dans l’espace-temps, et marque l’état de délabrement des personnages : la femme répète inlassablement une morne routine, tandis que l’homme s’insurge au début dans sa liberté soudainement niée. Au final, les deux se trouveront face aux interrogations d’un monde archaïque mais violemment moderne : que reste-t-il sans l’espoir, aussi absurde soit-il ? A quel prix s’essayer à briser sa solitude ?

Riche de thèmes multiples et ouverts à toutes les interprétations, La Femme des sables convie simultanément fantastique, onirisme et réalisme accru de situations extraordinaires. Sa structure particulière laisse l’esprit vagabonder dans un univers libre de toutes contraintes mentales, tout en restant profondément étouffant. Grâce à des images entêtantes et originales, le réalisateur Hiroshi Teshigahara développe un récit fleuve sur un homme et une femme, perdus à un certain moment de leur vie, et ayant progressivement besoin l’un de l’autre pour exister au milieu de cet éternel désert.

Titre original : Suna no onna

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Durée : 123 mn


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