La bête

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A partir du texte d’Henry James, Bertrand Bonello développe une science-fiction illisible.

In memoriam Gaspard Ulliel

Que reste-t-il en fait de la nouvelle d’Henry James, La bête dans la jungle, parue en 1903, dans cette troisième adaptation par Bertrand Bonello ? Déjà édulcorée en 1981 par Marguerite Duras pour son adaptation théâtrale dans le droit fil de sa conception de La maladie de la mort, puis charcutée tout récemment par Patric Chiha en 2023 qui avait au moins respecté cette attente angoissée de la bête tapie dans une boîte de nuit, Bertrand Bonello – à la filmographie fluctuante et toujours étonnante – renverse ici le paradigme et nous livre un film de science-fiction alambiqué, hermétique et quelque peu loufoque. Le film est dédié à la mémoire de Gaspard Ulliel qui devait interpréter le rôle de Louis et que la Bête est allée trouver tragiquement et banalement sur une piste de ski un jour de janvier 2022, lui qui aurait dû déjà apparaître dans l’adaptation de Patric Chiha aux côtés de Vicky Krieps. A croire que ce texte porte la poisse, ce qui ne serait pas étonnant puisqu’il en émane une ambiance à la fois mortifère et masochiste encore perceptible de nos jours. Bertrand Bonello sait raconter des histoires en costumes, il l’a prouvé avec L’Apollonide en 2011 et Saint-Laurent en 2014 et il aurait pu le faire ici à la manière d’un Benoît Jacquot adaptant en 1981 pour le cinéma un autre texte d’Henry James, Les ailes de la colombe, avec Dominique Sanda et Isabelle Huppert. Il en a sans doute eu le désir et cela aurait pu passer, avec de beaux costumes, des décors sublimes qui auraient pu faire supporter la présence appuyée mais souvent insipide de Léa Seydoux, obsédante dans tous les plans, flanquée d’un mari inconsistant et d’un soupirant, Louis, interprété par un inattendu George MacKay qui n’a pourtant pas la présence sulfureuse de Gaspard Ulliel. 

La bête et ses avatars

Mais cela n’aurait pas eu d’importance car, tout en conservant la trame originelle de la nouvelle presque au mot près – les retrouvailles et l’impression d’être traqué par une bête tapie dans la jungle – la fragilité du personnage masculin est moins palpable que dans le texte de James puisque Bertrand Bonello a décidé d’inverser les rôles et de proposer à la jeune femme l’obsession d’être un jour en présence d’un drame, d’une bête à la place du personnage masculin. Ce n’est pas un changement anodin puisqu’il affadit considérablement la nouvelle de James. Dans le texte, cette crainte ressentie par le personnage masculin l’empêchera de connaître l’amour avec la femme qu’il aime et qu’il perdra. Il ne comprendra son égoïsme qu’un an plus tard en se rendant sur sa tombe. En l’ayant inversé, cette peur se résume finalement à une sorte de superstition féminine quasi anecdotique.

Du mauvais Visconti ?

Mais ce n’est pas tout, Bertrand Bonello pour on se sait quelle raison, a décidé de compliquer encore plus sa narration déjà bien emberlificotée en plaçant cette histoire dans trois époques bien différentes : 1910, 2014 et 2044 pour en faire, de son propre aveu, une dystopie… L’enjeu est de taille mais réduit considérablement le charme de la nouvelle que Marguerite Duras, malgré quand même pas mal d’afféterie, avait réussi à rendre – en s’appuyant il est vrai sur le talent de Sami Frey et de Delphine Seyrig – à la fois dans toute sa véracité, son venin et sa mélancolie. Ici, à part des plans à répétition sur des pigeons hitchcockiens déchaînés, des bains de boue de l’héroïne, des voitures, des boîtes de nuit et des cartomanciennes, en chair et en os ou virtuelles, on se retrouve vraiment dans un fatras et l’on n’attend plus la Bête, mais la fin du film. C’est très dommage car on n’a pas lésiné sur les effets, tant spéciaux que décoratifs, les perruques, les costumes et le tout oscille entre du mauvais Visconti (pour les scènes en 1910), du Kubrick, pour ne donner finalement que du mauvais Leos Carax mâtiné de David Lynch pour les nuls concernant les scènes se déroulant à Los Angeles et dans une boîte de nuit aux murs pourpres. Quant à l’IA, dont Bonello est si fier de l’avoir mise au centre de son film, on se demande presque si ce n’est pas elle qui a écrit le scénario ! 

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Durée : 146 mn


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