Indiana Jones et la Dernière Croisade (Indiana Jones and the Last Crusade)

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Influences et réminiscences du cinéma d’aventure classique, des films d’enfance de Steven Spielberg… Le troisième volet de la saga Indiana Jones réunit le père et le fils, interprétés par Sean Connery et Harrison Ford. L´humour fait mouche et les obsessions de Steven Spielberg prennent à nouveau corps.

Avant de rechercher un crâne mystérieux dans Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal, le célèbre archéologue doit sauver son père capturé par les nazis. Stoppé net dans sa recherche du Graal, Jones Sénior est un être exquis et libre. Abonné aux recherches, à l’Histoire et à la culture, le voici projeté sur le devant de la scène pour participer pleinement à l’épreuve du Monde. Infiltrer les nazis, pasticher Hitler dans le troisième opus de la saga, convoque un idéal humaniste renforcé par la puissance de la mise en scène et par l’instinct de survie de l’Humanité.

Lui et Moi, Moi et Lui

Indiana est un homme pressé par le mouvement et l’action ; son père est un homme de recherche. Les deux ont une intensité essentiellement différente. Le personnage d’Harrison Ford s’accomplit dans l’effort, l’épuisement et le contact avec les fouilles archélogiques, les pistes menant à des trésors. Le corps d’Indiana se déploie dans l’espace pour englober la découverte du rarissime et l’adrénaline du danger. Son rapport au monde est une édification de l’inédit et de l’immédiat ressenti. Il est légitimement considéré comme un monument vivant, une relique : ses étudiants l’assaillent à son bureau pour lui poser des questions, le regardent en cours avec des yeux admiratifs. Son irradiant charisme, sa générosité exaltent l’espace, quel qu’il soit, d’une patine, d’un cachet unique. Il est un mythe vivant.  Junior, professeur ès archéologie, est l’expérience, l’instinct, l’Histoire dans la conquête. Son père est l’Histoire dans le savoir. Le premier plan qui le caractérise, cet index pointé en signe d’autorité et d’infinie sagesse, le magnifie comme l’apôtre de la culture et de la raison. Sa voix, hors champ, provoque une énergie, un grain mystique, une aura mystérieuse.

Henry Jones Sénior, le personnage qu’intreprète, avec une malice enfantine, Sean Connery, est un homme plongé dans les livres. Son hiératisme et sa raideur enferment un foisonnement et une quête de la connaissance qui se profilent cérébralement. L’homme est sûr de lui, confiant. Sa posture et sa gestuelle, dans une lenteur maladroite, rendent d’emblée compte de la différence, de la faille entre le père et le fils. Homme de savoir, il impulse au plan une exclamation spirituelle permanente. Il est un métronome. Tel un totem, il est aussi le repère spirituel, la trace, le témoin d’une évolution du monde, qui va des vases ming aux trois épreuves pour atteindre la coupe du charpentier gardée par le Chevalier. Lui, vit de l’interaction entre l’histoire et le monde, de son infini recommencement comme lorsqu’il abat un avion nazi grâce aux mouettes. Idée germée par l’intervention de sa mémoire en citant Charlemagne : « Mes armées seront les rochers, les arbres et les oiseaux dans le ciel ».

Ainsi, si Henry Jones Junior, Indiana, est une relique et une pièce originale du monde, son père, Henry Jones Sénior, est un patrimoine. Bien que leur relation soit confuse et compliquée, les deux hommes se complètent, se marient à merveille grâce à la mise en scène de Spielberg : l’un, Jones Père, est construit sur un mouvement centripète, le nez dans les livres ; l’autre, Indiana, est axé sur une épreuve centrifuge de la vie. Ils sont la personnification de la tension des contraires. Le mimétisme, le dédoublement familial du film, afin de parvenir à un éternel idéal qui se symbolise dans la coupe dans laquelle a bu le Christ lors de son dernier repas, se manifeste dans une dualité de mise en scène constituée d’une surface et d’une profondeur, rendant tangibles les lacunes de leur relation aimantée.

L’Histoire, la Religion… et l’Homme

Durant l’époque médiévale, la quête fut menée par les chevaliers de la Table Ronde. Transposée au XXe siècle, la quête est réactualisée par l’obsession guerrière de l’omnipotence. Une vision pessimiste et crépusculaire du mythe historique et religieux.

Spielberg intrègre immédiatement la notion de pouvoir grâce à la verticalité du début de son film. Il lie ainsi la terre et le ciel dans un Tout imparable. Les contre-plongées et les travellings du début du film dessinent implicitement le motif de la croix. Ainsi conceptualisée, la notion de croyance, et la métaphorique représentation de la Religion, exerce une pression continue sur le film. Prélevé entre le vrai et le faux, le monde que déchiffre Indiana Jones est un monde d’indices. La manifestation la plus limpide de sa clairvoyance intervient lorsque son regard est appelé par le "X" qui mène à l’autre moitié de la carte, au sein du bouclier menant au Graal, dans l’édifice religieux vénitien. Spielberg aime à creuser sous l’écorce pour solidifier ce qu’il y a de caché. Ensuite, il le fossilise dans ses plans.

A l’instar des Aventuriers de l’arche perdue et d’Indiana Jones et le temple maudit, Spielberg réactive l’espace de son film grâce à un inframonde très dynamique. Indiana Jones et la dernière Croisade, ainsi que les deux premiers volets de la saga, sont des films qui ne permettent pas d’anticiper. Ils se construisent sur un aléatoire qui confère au film, souvent,  une tonalité burlesque et infantile. Lors de la première course poursuite du film, Indiana disparaît dans un cercueil de magicien. Lorsqu’il vient délivrer son père des nazis, il cherche désespérément une issue, un passage secret que son père activera par hasard en se vautrant joyeusement dans une chaise. Toujours trouver une issue, le ludisme, le gag perpétuel dans l’action dramatique, promeut le mouvement de la recherche, de la fouille, de la plongée dans les entrailles du monde et du savoir. L’originalité de ses films provient de la finition et de la méticulosité avec lesquelles l’énergie est mise en scène. Dans le troisième volet de la saga archéologique, le tempo est subordonné à l’espace, l’énergie est sinusoïdale et millimétrée, régie par les plongées dans la profondeur et les sorties à la surface du monde, souvent par des trous de souris ou  autres leurres.

Indiana est, comme tous les héros spielbergien, un common man. Dans La Guerre des Mondes, Ray Ferrier est un ouvrier, dans Il faut sauver le soldat Ryan, le personnage interprété par Tom Hanks est professeur… L’héroïsme n’est pas l’unique apanage du mythe des super-héros. Chez Spielberg, l’homme, en tant que tel, se suffit à se sauver ou à se détruire. S’il fait intervenir des extra-terrestres, il est question pour le réalisateur américain de faire ressortir ce qu’il y a de plus dévastateur ou de plus rassembleur en l’homme face à la différence. La logique humaniste spielbergienne est de promouvoir l’homme dans son infini dépassement, dans son inévitable et permanente évolution sémiologique. Le monde est une partition visuelle et sonore dense, que la clairvoyance et la lucidité suffisent à caractériser et à comprendre. L’évolution intellectuelle des personnages est aussi facteur d’une mature évolution vers l’âge adulte. Les personnages suivent des conversions imparables, par le crible de l’abandon d’une parcelle de leur âme, pour en exaucer une nouvelle.

Ce détachement, cette mue éphèmère représentent l’insuffisance humaine des personnages spielbergiens. Avant le réel envol et le détachement, ils doivent être mis face à l’expérience de la mort. Henry Jones Sénior appellera son fils Indiana, lorsque ce dernier sera à deux doigts de choisir d’attraper le Graal plutot que de sauver sa vie. Or, l’épreuve de la fin, ou son spectre, ne se coagule dans l’esprit de l’homme que par la captation du regard. En plus d’être une donnée sur la finitude, la mort est elle aussi un signe, un élément que l’homme est prédisposé à analyser, à anticiper. La signature visuelle du film, et de l’œuvre de Steven Spielberg en général, érige un système complexe de plans et de rimes entre ses films. La poursuite entre les nazis à moto, et Indiana Jones à cheval, est convoquée, au plan près, dans Jurassik Park et ses courses effrénées avec les dinosaures. Les films de Spielberg pourraient, dès lors, être qualifiés de palimpsestes cinématographiques. Le réalisateur exploite son écriture cinématographique avec la même encre, la même page et la même plume. Les films de Steven Spielberg achèvent un programme méticuleux et répondent à une attente cyclique, métaphysique de la représentation de l’Homme. Le monde, lui, est régi par cette siamoise circonvolution.

Titre original : Indiana Jones and the Last Crusade

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Durée : 125 mn


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