Il était une fois dans l’Ouest

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En voulant faire ses adieux au western spaghetti, c´est le western tout entier que Sergio Leone enterre. Après « Il était une fois dans l´Ouest », plus rien ne sera comme avant.

Triomphe public et critique, Le Bon, la Brute et le Truand fut un accomplissement artistique total pour Leone qui y voyait là son dernier western. Son projet suivant devait être l’adaptation du roman The Hoods de Harry Grey, qui donnera beaucoup plus tard Il était une fois en Amérique. Enlisé dans des problèmes de droit, le film ne se fait finalement pas dans l’immédiat et suite à une offre mirobolante de la Paramount (la trilogie des dollars sortie quasi simultanément aux USA venait d’y faire un carton), il cède finalement pour réaliser un ultime western… Celui-ci sera pourtant bien différent de la trilogie des dollars. Leone a cette fois carte blanche pour donner la forme qu’il souhaite à son chant du cygne au genre qu’il contribua à créer.

Epurer le trait

Avec Il était une fois dans l’Ouest, Leone souhaite bouleverser les certitudes et habitudes acquises avec ses précédents western et ce, dès l’écriture. Le script final sera peaufiné avec son collaborateur habituel Sergio Donati mais la mise en place du cadre, récit et personnages se fera avec les inexpérimentés Dario Argento (encore critique cinéma) et Bernardo Bertolucci responsable de quelques films d’auteurs encore confidentiels. Ensemble, ils vont sciemment éliminer tous les aspects les plus ludiques de la trilogie des dollars pour bâtir quelque chose de nouveau et d’inédit.

Le ton s’était fait de plus en plus épique et grandiose au fil des œuvres précédentes pour arriver au souffle picaresque du Bon, la Brute et le Truand. Ici, le récit tournera autour d’un simple conflit de terrain et de vengeance totalement transcendé par la maestria narrative de Leone, qui donne des proportions grandioses à cette trame basique. Les héros leoniens brillaient par leur verve truculente, ordurière et imagée. Cette fois, ils seront bien plus secs et mystérieux, à l’image d’un casting étonnant. Le pourtant peu disert Clint Eastwood semble bien bavard à côté du taciturne Charles Bronson, dont le moindre froncement de sourcil laisse deviner le bouillonnement intérieur sous son visage minéral et impassible. Le contre emploi est de mise pour Henry Fonda qui brise son image de bonté en campant l’immonde Frank, tueur impitoyable. Leone se délectera à dévoiler son visage et ses grands yeux bleus dans un saisissant panoramique après le massacre de la famille McBain, désignant au public le « bon » Henry Fonda comme l’auteur du crime ignoble. Quant à Jason Robards, il délaisse les rôles d’intellectuels qui l’ont fait connaître pour le rôle du bandit au grand cœur Cheyenne.

 

Pour une poignée de dollars, remake officieux du Yojimbo de Kurosawa, avait dévoilé l’attrait de Leone pour le cinéma japonais. Le fétichisme de ses personnages pour leurs armes, véritable extension d’eux-mêmes, renvoyait également au rapport des samouraïs à leur sabre. C’est dans Il était une fois dans l’Ouest que se manifeste le plus cette influence nippone à travers un rythme lent savamment calculé, la gestuelle hiératique des personnages ou encore le jeu sur les bruits et les silences. On pense évidemment à la cultissime scène d’ouverture, où les trois tueurs attendent Bronson dans l’enceinte de la gare. D’autres séquences, plus subtiles sont pourtant tout aussi frappantes. La bande-son inondée par le chant des cigales se faisant soudainement silencieuse lors des préparatifs à la ferme McBain est un avertissement lourd de danger sur leur fin prochaine. Plus intéressant encore, la scène où Cheyenne vient menacer Claudia Cardinale chez elle. Après un long échange tout en sous-entendus, celle-ci exaspérée, oublie sa peur pour violemment invectiver le Cheyenne. Peu habitué à ce genre de répondant, le bandit tombe instantanément amoureux, et c’est son regard ahuri en plan fixe ainsi que la ligne musicale qui lui est dédiée qui nous le signale.

Raconter l’Ouest

Le western spaghetti fut souvent accusé par les détracteurs de souiller l’esprit de son pendant américain. Ce n’est pas totalement faux même si ces outrages se firent souvent pour le meilleur, mais ce fait ne peut être reproché à Sergio Leone. Sous l’extravagance des situations et des personnages, le réalisateur fit souvent preuve de bien plus de réalisme que le western hollywoodien, notamment dans la rigueur historique sur les armes utilisées. L’hommage au film noir et de gangster viendra plus tard avec Il était une fois en Amérique, mais c’est avec Il était une fois dans l’Ouest qu’il se sentira une première fois investi du devoir de dépeindre ses Etats-Unis, fantasmés par le prisme de ce qu’il connaît le mieux : le cinéma.

 

Les hommages discrets à John Ford sont légion. Lors de l’ouverture à la gare, les trois tueurs arborent de longs manteaux cache-poussière faisant écho à la tenue du méchant Lee Marvin dans L’Homme qui tua Liberty Valence. Lors de cette même scène, Leone use plusieurs fois des plans « en portail » typiques de Ford, où la silhouette d’un personnage se dessine dans l’embrasure d’une porte, laissant découvrir indistinctement le vaste paysage extérieur. L’utilisation la plus connue de cette figure est bien évidemment la conclusion de La Prisonnière du désert montrant un John Wayne s’éloignant lentement au loin depuis l’intérieur de la maison. La présence de l’acteur noir Woody Strode parmi les trois tueurs n’a également rien d’innocent, puisqu’il est un des acteurs fétiches de John Ford qui lui accorda le premier rôle dans Le Sergent noir. Leone dérogera également le temps d’une scène au cadre de tournage habituel du western spaghetti en quittant le désert espagnol d’Almeria pour filmer l’emblématique décor de Monument Valley (théâtre de tant de grands westerns américains) lors du périple de Claudia Cardinale à la ferme des McBain.

Partant de cette base référentielle marquée, Leone dépeint subtilement un Ouest en pleine mutation. Le nœud de l’intrigue tourne autour des changements amenés par l’arrivée du chemin de fer et donc de la civilisation dans ces contrées sauvages. En arrière plan, c’est une Amérique désormais cosmopolite qui se dessine avec les multiplicités ethniques entraperçues ici avec les travailleurs chinois. La grande révolution, c’est bien évidemment l’arrivée d’un personnage féminin dans l’univers jusque-là très machiste de Leone. Claudia Cardinale (dans un de ses plus beaux rôles), ancienne prostituée amenée à fonder une ville où passera le chemin de fer, représente symboliquement une figure matriarcale. C’est en son sein que s’abreuvera désormais ce nouveau pays, plus droit, plus régenté et humain, où les figures hors-la-loi et indomptées sont condamnées à disparaître. S’étant déjà fait conteur de l’Histoire américaine avec les bounty Killer de Et pour quelque dollars de plus et en donnant sa vision de la Guerre de Sécession dans Le Bon, la Brute et le Truand, Leone donne cette fois plus de portée et de profondeur à sa pensée en éliminant le superficiel.

Ballet de morts

Toutes les intentions précédemment citées trouvent leur accomplissement dans la chorégraphie musicale et visuelle souhaitée par Leone. L’ensemble des personnages masculins sont des archétypes du western voués à disparaître avec le pays changeant. Leone associe son adieu au genre à la disparition de ses figures de base du paysage de l’Ouest. Harmonica n’est qu’une réminiscence plus sombre de Shane, L’Homme des vallées perdues (George Stevens, 1952) qui inventa littéralement ce mythe du pistolero mystérieux venu de nulle part, amené à aider la veuve et l’orphelin (auquel Eastwood rendra hommage aussi dans L’Homme des hautes plaines et Pale Rider). Frank renvoie au tueur impitoyable aperçu dans tant de westerns (et en admirateur d’Aldrich, Leone lui fait arborer la même tenue d’archange noir que le Lancaster de Vera Cruz lors du duel final) tandis que l’homme d’affaire Morton (Gabriele Ferzeti) évoque l’imagerie du riche propriétaire prêt à tout pour s’approprier les terres d’autrui. La modernité intervient par la constante déformation que Leone apporte à ses icônes. La brutalité et la volonté de vengeance d’Harmonica l’éloignent immédiatement de toute imagerie chevaleresque. Frank oscille entre le détestable et le pathétique, grâce à la prestation brillante de Henry Fonda. Homme de main se rendant compte progressivement de son incapacité à se muer en business man, il est dépassé. La nature d’homme d’affaire de Morton et ses méthodes capitalistes corruptrices modernisent quant à elles de manière visionnaire l’aspect du puissant écrasant tout sur son passage.

Méthode inaugurée avec Le Bon, la Brute et le Truand, la musique d’Ennio Morricone fut enregistrée en amont et diffusée aux acteurs durant le tournage. Le personnage le plus attachant, Cheyenne, se voit gratifié du thème le plus guilleret où la tendresse et la menace pointent à l’image des deux facettes de son carractère. A Harmonica les stridences lancinantes de son instrument, bientôt élevées par une guitare électrique pour signifier le tourment de la vengeance. Claudia Cardinale, symbole d’avenir, est gratifiée d’une mélopée poignante et pleine d’espoir, appuyée par les vocalises de la cantatrices Edda. Frank est lui accompagné d’un motif funèbre accompagnant ses exactions tandis Morton se voit offrir un thème nostalgique illustrant sa vie en sursis rongée par la maladie. Tous ces personnages arborent une gestuelle et une démarche hiératiques et étudiées, sachant qu’ils sont voués à disparaître dans un dernier ballet à l’issue fatale pour chacun d’entre eux. Les moments purement opératiques s’accumulent dans la dernière partie du film, notamment la musique ténébreuse accompagnant littéralement chaque pas de la chevauchée de Frank vers le train pour son ultime confrontation avec Morton.

Leone ayant poussé à son paroxysme la séquence du duel dans Le Bon, la Brute et le Truand avec son triple face à face, il opère différemment cette fois pour se conformer à sa thématique. Le flashback fragmenté précédant l’ultime combat avait déjà été utilisé dans Et pour quelques dollars de plus lors de la conclusion entre le Colonel Mortimer et Indio. C’était alors plutôt un gimmick (le fameux tic tac entêtant de la montre) rappelant les motivations de Lee Van Cleef. Cette fois, c’est un véritable voyage introspectif au coeur du passé, appuyé par un zoom d’anthologie sur le regard bleu glacial d’Harmonica qui décide enfin de se souvenir avant de tuer Frank.

Harmonica bien que vainqueur est déjà mort en tant que personnage après avoir exécuté sa vengeance. Avec la disparition émouvante et tout en retenue de Cheyenne, ce sont les derniers vrais hommes de l’Ouest qui nous quittent lors du final. Harmonica s’éloigne discrètement laissant la dépouille de Cheyenne derrière lui tandis que le train arrive enfin sur la voie fraîchement terminée, tout un symbole. La dernière image reviendra donc à Claudia Cardinale apportant à boire aux ouvriers, l’Histoire de l’Ouest s’achève et l’Amérique moderne commence…

Il en va de même pour Leone qui quitte son genre de prédilection et vogue vers d’autres aventures. Bien qu’il se dédise malgré lui avec le suivant Il était une fois la Révolution, le ton sera désormais bien différent.

Lire aussi la critique de Jean-Michel Pignol.

Titre original : Once upon a time in the west

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Durée : 165 mn


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