Exilé (Fangzhu)

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Le prolifique Johnnie To (PTU) revient pour régaler nos mirettes avec ce remarquable Exilé, son meilleur film, à la fois suprêmement réjouissant et terriblement incarné. Un classique instantané, sinon rien. Dès les premières images, on est sous le choc. Musique avec des accords de guitare lancinants, ville fantomatique de Macao plombée par la canicule, atmosphère […]

Le prolifique Johnnie To (PTU) revient pour régaler nos mirettes avec ce remarquable Exilé, son meilleur film, à la fois suprêmement réjouissant et terriblement incarné. Un classique instantané, sinon rien.

Dès les premières images, on est sous le choc. Musique avec des accords de guitare lancinants, ville fantomatique de Macao plombée par la canicule, atmosphère lymphatique, personnages fringués classe qui se regardent de travers, tension à son paroxysme. Deux bandes de tueurs se retrouvent à Macao devant la maison de Wo, un ami d’enfance exilé depuis qu’il a tiré sur son patron et qui, depuis, a refait sa vie avec une femme et un enfant. D’un côté, on a Anthony Wong et Lam Suet qui ont pour dessein de buter Wo sur ordre du boss atrabilaire Simon Yam; de l’autre, Francis Ng et Roy Cheung venus défendre leur ami. Dans un écrin totalement artificiel et ensoleillé, de joyeux drilles ont eu envie de faire renaître le bon vieux cinéma de Peckinpah de ses cendres, afin de rappeler que les vieilles recettes ne sont point caduques et que la majorité des films actuels bénéficient de cet héritage. Leur plaisir devient le nôtre, tant l’excitation qui découle en regardant Exilé s’avère immense. Avec ce nouveau western rongé par la nostalgie mélancolique de ses héros en totale décrépitude, Johnnie To court-circuite la figure archétypale du cow-boy avec son harmonica et sa cigarette, fait tourner les cannettes de Red Bull et signe une série B de luxe, enthousiasmante au-delà des espérances. Un uppercut digne de The Killer en son temps doublé d’un long gag élégiaque théâtralisé par un Beckett alcoolisé percé par la mélancolie. Un festin du genre rutilant.

Les mauvaises langues ont trop souvent essayé de séparer le bon grain et de l’ivraie en réduisant Johnnie To à un énième formaliste HongKongais uniquement capable d’œuvrer dans la pose et incapable de traiter en creux la substance de son récit et la psychologie tordue de ses personnages décalqués. Or, aux antipodes des tentations véristes scrupuleuses du récent diptyque Election, plus proche de la veine tragique et gaguesque d’A hero must dies ou de Running on Karma sans toutefois s’abîmer dans l’autocitation, ce film labellisé Milkyway Images le venge de tout ceux qui l’ont hâtivement assimilé à un esthète de pacotille. Avec une élégance fluide du travelling, un soin maniaque du cadrage, un respect des caractères et une osmose entre les acteurs quatre étoiles, il pulvérise les standards. Fausse suite de The Mission regroupant la même bande d’acteurs (les indispensables Anthony Wong, Francis Ng, Lam Suet Roy Cheung), Exilé s’attache à des gangsters très soudés tout droit sortis d’un film de Melville confrontés aux derniers jours de leur amitié. On ne sera pas étonné d’ailleurs que To envisage de faire un remake du Cercle Rouge et de tourner un film avec Alain Delon; ce dernier lui ayant donné son accord immédiat.

En surface, To donne l’impression d’avoir reproduit ce qu’il aimait le plus dans de nombreux westerns et par extension les films de divers cinéastes (John Woo, Don Siegel, Clint Eastwood, Sergio Leone). Mais qu’il s’agisse d’injecter des touches surréalistes aux moments les plus incongrus ou de filmer en Scope des paysages arides et désertiques, To rend hommage sans céder à l’édifice fétichiste en renouant précisément avec sa thématique chérie (sens de l’honneur, amitié indéfectible, conflits claniques, trahison secrète) en cherchant par intermittence des noises au cinéma du vénéré John Woo. Pour donner un exemple, le gunfight opératique dans l’hôpital renvoie à The Killer avec sa chorégraphie minimaliste à base de draps, de ralentis et de sang mais ajoute une dimension goguenarde en simulant une volonté de sacraliser chaque instant. Sous de bonnes influences, To a renouvelé sa grammaire cinématographique en proposant une nouvelle manière de filmer des fusillades dans un espace clos et en n’abuse pas au bonheur de ses détracteurs du grand angle comme simple parti-pris de mise en scène. De cette profusion de qualités (pas minces), il résulte une sorte d’idéal filmique qui dépasse en satisfaction tout ce qu’on pouvait imaginer. C’en est presque inquiétant pour la suite dans sa carrière étant donné qu’après cette fulgurance, il sera obligé de se surpasser pour nous surprendre. Mais ce serait oublier que, de film en film, Johnnie To n’a cessé de relever à chaque fois brillamment le défi qu’on lui lançait. "Etonnez-nous!" Et avec son style précieux, To nous étonne.

Titre original : Fong juk

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Durée : 110 mn


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