Entretien avec Audrey Estrougo

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C’est dans les bureaux de son attaché de presse qu’Audrey Estrougo me rejoint. Arrivée prestement avec son chien, Scorsese, elle répond aux questions avec décontraction et enthousiasme. Vous expliquez dans le dossier de presse que Regarde-Moi s’inspire de votre vécu en banlieue, pourquoi avoir choisi le cinéma et non une autre forme d’art ? J’avais […]

C’est dans les bureaux de son attaché de presse qu’Audrey Estrougo me rejoint. Arrivée prestement avec son chien, Scorsese, elle répond aux questions avec décontraction et enthousiasme.

Vous expliquez dans le dossier de presse que Regarde-Moi s’inspire de votre vécu en banlieue, pourquoi avoir choisi le cinéma et non une autre forme d’art ?

J’avais déjà un amour pour le cinéma à la base qui s’est développé autour de mes 13-14 ans. Par la suite j’ai développé cet amour là, l’amour pour certains cinéastes. Et plus tard, quand j’ai dû trouver un chemin pour ma vie, le cinéma est venu naturellement. Je ne me suis pas dit que j’allais faire du cinéma mais plutôt que j’allais essayer de faire du cinéma. Si j’y arrive tant mieux, sinon j’aurais au moins eu le mérite d’avoir essayé.

Quels sont vos cinéastes de référence ?

Ingmar Bergman, Murnau, Scorsese, Cassavetes, Vittorio de Sica. J’aime aussi beaucoup la nouvelle vaque asiatique. Son éclectisme me touche beaucoup.

Plus précisément, pour Regarde-Moi, quelles ont été vos références ?

J’ai autant regardé des vieux films comme Colors (de Denis Hopper) ou Graines de Violence (de Richard Brooks) que des films de Larry Clark. Pour moi, ce cinéaste est celui qui a le regard le plus juste sur l’adolescence. Pour ce qui est de la scénographie, Do the right thing de Spike Lee m’a aidé pour construire la montée progressive de la tension.

Votre film est divisé en deux, selon les points de vue des protagonistes filles et garçons. Pourquoi avoir fait ce choix de mise en scène ? Est-ce purement scénaristique ou est-ce aussi une volonté de montrer la relation clanique entre les jeunes ?

Il y a plusieurs raisons. Mon but premier est de raconter l’histoire de Julie et de Fatimata. La banlieue avec ces codes précis est un milieu que je connais puisque j’y ai vécu. Mais le but d’un film est avant tout d’être universel. Donc si je transforme les 45 dernières minutes en un film de 1H30, on peut avoir un rejet violent des personnages et ne pas comprendre leur mal-être. Pour qu’on puisse le comprendre, il fallait intégrer les garçons. Cela permet de trouver la faille qui oblige les filles à se renier. Donc comme j’ai plus fait un film sur les adolescents, sur la quête de soi et la crise identitaire plutôt qu’un film de banlieue, j’avais besoin du point de vue des garçons.

Puisque c’est un film inspiré de votre expérience, quelle est la part de fiction et de faits réels ?

J’ai tout de suite voulu mettre une distance en écrivant une fiction à 100%. Il y a tout de même des anecdotes personnelles ou de proches mais je garde l’aspect fiction tout au long du film. Cela me permet de ne pas avoir d’état d’âmes et de me concentrer sur la mise en scène. Et de plus, j’avais une vraie envie de cinéma derrière donc il fallait que je sois totalement libre et que je n’ai pas de sentiments propres sur chaque scène.

Vous parliez tout à l’heure de Regarde-Moi comme un film sur les adolescents. Quelle est, selon vous la définition de ce genre de film aujourd’hui ?

Un film d’adolescent est certainement un film qui n’enferme pas ces personnages dans un moule. Le problème est qu’un adolescent est à l’aise nulle part donc le but est d’étendre le mal-être comme une palette. Il y a eu plein de films sur ce sujet. Autant on peut citer the Virgin suicides (de Sofia Coppola) que Fucking Amal (de Lukas Moodysson) A chaque fois, ce sont des jeunes dans une conception assez clanique et enfermés dans un mal-être qui se répand tout au long de leur adolescence. Donc un réalisateur doit pourvoir garder l’innocence et la fraîcheur de l’enfance et à la fois montrer la difficulté du passage à l’âge adulte.

Dans tous les films qui sont sortis sur les adolescents cette année, l’absence de parents est un des points communs. Dans votre cas, Julie, l’héroïne, ne reçoit pas le soutien qu’elle attend de son père. Pourquoi se focaliser sur les jeunes et non pas sur les adultes ?

C’est l’âge où tout se joue, où il se passe plein de choses. Par exemple, on est une génération qui est directement en rapport avec la culture de nos parents et avec la société actuelle qui vend des valeurs opposées à celle de nos parents. La conséquence est qu’un ado est perdu entre les deux. C’est aussi la période où l’on choisit notre avenir. Je pense qu’il y a plus d’enjeux à parler de l’adolescence. Et scénaristiquement parlant, c’est une période beaucoup plus riche que le monde des adultes où tout est plus fermé, où tout est joué.

Parmi les films sortis cette année sur ce thème, Regarde-Moi se distingue des autres par sa richesse thématique et son ouverture. Finalement, le groupe d’adolescents n’est-il pas qu’un prétexte pour extrapoler sur un sujet de société ?

Carrément ! De toute façon, mon histoire qui se déroule en banlieue pourrait être tournée partout ailleurs. Les problèmes du film sont inscrits dans un microcosme mais on vit la même chose partout dans le monde. C’est un mal de société et non un mal de banlieue. C’est pour ça que je refuse l’idée de film de banlieue. Le film me permet d’aborder des thèmes plus larges comme notre société raciste et ignorante.

Un des personnages dit cette phrase très pessimiste « Si le monde ne vient pas à la cité, la cité viendra au monde ». Est-ce que pour réussir dans la vie, il faut quitter la banlieue comme le fait Jo et Julie ?

C’est malheureux mais c’est pourtant la vérité. Il y a trop de préjugés, de mauvaises images. Je veux défendre par ce film une autre image de la banlieue. Les personnages de Regarde Moi ne sont pas des connards qui tapent sur tout ce qui bougent, ce sont avant tout des êtres humains. Ils vivent des conflits sentimentaux comme tout le monde. Et s’il y a une vérité à rétablir se serait celle-là. Il ne faut pas tout séparer. La banlieue fait partie de la société et du monde. Pour ce qui est de sortir, ce n’est pas tant à la cité d’aller vers les autres mais c’est aussi aux autres d’accepter que la cité est capable de réussites et de sortir de notre quartier. On n’est pas obligé de passer sa vie dans quatre dalles de béton et entre quatre murs. On peut faire des choses aussi brillantes que les autres.

Quelles ont été les réactions des jeunes de banlieues ?

Vu que je raconte quelque chose de très dur, les adolescents ont généralement un rejet naturel que je comprends. A l’inverse, les plus âgés ont aimé le film. C’est avant tout un film générationnel qui va accompagner des gens. Mais je voudrais surtout qu’il fasse taire les a priori. Ce n’est pas grave s’il ne plaît pas à la banlieue, c’est d’abord un film pour tout le monde.

L’industrie du cinéma français ne se porte pas forcément pour le mieux. Est-ce que vous avez eu des difficultés à financer Regarde Moi ?

Je n’ai pas eu de difficultés majeures. J’avais un bon scénario et en 8 mois on a monté le financement. Toutefois, les producteurs étaient réticents face à mon âge et aux acteurs qui n’étaient pas des têtes d’affiches. J’ai peut être que 22 ans mais j’ai des choses à dire et je peux réussir à faire un long-métrage. Il n’y avait que ces a priori à dépasser.

Pour finir, quels sont vos projets ?

Je mets en scène une pièce de théâtre qui s’appelle Les Quatre jumelles de Copi au théâtre Darius Milhaud (19eme arrondissement) à partir du 16 octobre. Puis, j’espère tourner un road-movie l’été prochain, toujours sur la fragilité de l’adolescence mais pas du tout en banlieue.

Entretien réalisé par Clemence Imbert

Titre original : Regarde-moi

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Durée : 93 mn


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