DVD « Attila Marcel »

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Attila Marcel, le dernier-né, bien réel, de Sylvain Chomet.

L’œuvre de Sylvain Chomet s’est bâtie au fil de ses propres expériences et de ses divers essais, pour la plupart fructueux. D’abord scénariste et dessinateur pour la bande-dessinée, c’est véritablement en 1996 que Chomet se lance dans la réalisation de films d’animation, avec le court métrage animé et très réussi La Vieille Dame et les Pigeons. Ce film court pose les fondements du cinéma de Sylvain Chomet, qui enchaîne avec deux longs métrages d’animation : Les Triplettes de Belleville, en 2003, et L’Illusionniste, en 2010, constituant tous deux de brillantes réussites. C’est bien simple, en près de vingt ans de carrière, le cinéaste a réalisé peu de films mais chacun d’eux lui a rapporté au moins un Oscar. Le bagage et le talent de Sylvain Chomet semblent plus que solides. C’est pourquoi l’homme ne se repose pas sur ses acquis et s’essaie à d’autres expériences, notamment en passant à la réalisation de films en prises de vues réelles. Il s’y risque ainsi en 2006 en réalisant un court métrage au sein du collectif des dix-huit films composant le film Paris je t’aime. Il propose un film court et poétique sur la rencontre amoureuse entre deux mimes et fait appel à Yolande Moreau pour jouer l’un des personnages. C’est en ayant l’actrice en tête que Sylvain Chomet crée Mme Proust, personnage prépondérant du long métrage, toujours en prises de vues réelles, qu’il réalisera ensuite : Attila Marcel. Yolande Moreau était intéressée par cette nouvelle collaboration mais, prise par le tournage de Henri (2013) à ce moment-là, elle ne put satisfaire ce souhait et fut remplacée par Anne Le Ny, qui reste très convaincante dans le rôle de la voisine farfelue. C’est ainsi que, fin octobre 2013, Attila Marcel, le nouveau film de Sylvain Chomet, a fait un bref passage dans les salles de cinéma françaises. Il n’est, d’ailleurs, sorti nulle part ailleurs qu’en France pour l’instant.

 

Le héros du film n’est pas Attila Marcel mais son fils, Paul, orphelin solitaire âgé d’une trentaine d’années, vivant malgré lui aux crochets de ses deux tantes, bourgeoises invétérées qui rêvent de faire de lui un grand pianiste. Contrairement aux deux femmes qui passent leur temps à jaser, Paul, lui, ne dit mot. Suite à la mort de ses parents, dont il fut le témoin malheureux à l’âge de deux ans, Paul s’est enfermé dans une vie taciturne et mutique. C’est grâce à Mme Proust, la voisine du quatrième étage, que le jeune homme, à coup d’infusions abracadabrantes, va pouvoir revivre le passé, retrouver ses véritables souvenirs et pouvoir enfin devenir adulte.

Comme Champion dans Les Triplettes de Belleville, Paul possède un aspect légèrement autiste ou, du moins, profondément perturbé. Il est d’ailleurs tellement traumatisé que cela affecte totalement ses relations sociales, qui sont inexistantes hormis celle, superficielle et insignifiante, qu’il entretient avec ses tantes ainsi qu’avec les connaissances de ces dernières. L’entourage du jeune Paul n’a pas moins de soixante-dix ans.

D’un film à l’autre, on retrouve certains détails de prédilection du cinéaste. Ainsi les héros de Sylvain Chomet, à l’image des grands burlesques, sont toujours de grands solitaires maladroits qui portent en eux une apparence de clowns malheureux. Les autres, également, possèdent quelque chose de caricatural et de maniéré, dans leurs mimiques et leurs gestuelles, donnant ainsi l’impression d’habiter un tout autre monde que le nôtre. Les deux tantes de Paul, qu’on a l’impression d’avoir croisées plus jeunes à la terrasse du café du Paris je t’aime de Chomet, ressemblent aux deux sœurs de Cendrillon qui se seraient assagies en vieillissant – et en voyant leur sœur mourir sous leurs pieds, également.

Cependant, là où nous aimions, dans les films de Chomet, le côté marginal et burlesque de ses personnages, avec l’influence omniprésente de Tati, dans Attila Marcel, certains de ses héros ont désormais plutôt l’air des marginaux-clodos que l’on peut croiser dans les films de Jeunet. Certes, il y a toujours de la magie, mais la poésie n’est plus la même.

 

Le film comporte cependant de très belles scènes, qui nous enchantent et nous transportent dans un univers à la fois réel et illusoire. Ainsi la séquence entre le père et la mère de Paul, qui se retrouvent ensemble sur le ring pour un corps-à-corps érotique et bouleversant, les deux amoureux s’affrontant en une valse mi-sensuelle mi-violente. Il y a quelque chose de beau et de funeste dans cette danse de fantômes aux silhouettes sculpturales. Une autre danse encore, plus joviale et rieuse cette fois, nous emporte à la fin du film sur une plage de Trouville où les deux tantes, qui ne sont pourtant plus si jeunes, gambadent et poussent la chansonnette, gesticulant comme deux gamines surexcitées. Nous sommes emportés avec elles dans leur ivresse et cet hymne à la vie qui pousse dans les bras d’Hélène Vincent une Bernadette Lafont si vivante et enthousiaste nous affecte tout entiers. Attila Marcel fut, en effet, le dernier film de cette immense actrice.

 

Sylvain Chomet est né dans le bain de l’animation, et cela se ressent jusque dans ses films en prises de vues réelles. Le travail sur la bande-sonore du film, notamment, en témoigne. Les films d’animation font partie d’un des genres cinématographiques qui demandent le plus de labeur et d’inventivité en matière de création sonore. Chaque bruit doit être minutieusement réfléchi, enregistré, placé et mixé pour créer un véritable univers sonore qui s’accordera au film. Dans la continuité de ses autres films et tout au long d’Attila Marcel, on discerne ce travail au travers d’un montage son original et remarquable où chaque musique et chaque son appuient constamment le côté à la fois dramatique et rocambolesque des situations. Sylvain Chomet continue à faire honneur à cet héritage qu’il s’est lui-même légué. Reste à savoir ce que cela donnera s’il finit par se détacher de cette influence du film d’animation.

Nous saluons cette sortie DVD qui va permettre à de nombreux spectateurs de découvrir ce film qui a trop peu circulé dans les salles de cinéma et qui fait cependant partie intégrante de la filmographie et des expériences d’un grand cinéaste.
 
 

Attila Marcel, de Sylvain Chomet – DVD édité par Pathé Distribution – Sortie le 5 mars 2014.

Titre original : Attila Marcel

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Durée : 106 mn


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