Rien de grave ? Non, dès lors que l’on assimile sans encombres la scène d’exposition, à la fois académique (25 ans après les faits, un homme décide d’écrire un roman sur une "affaire classée" dont il a été témoin et qui l’obsède) et ténébreuse (les arcanes judiciaires argentines, notamment le rôle exact d’un greffier, ne sont pas des plus claires). En réalité, cette mise en place, sans doute pas très originale, annonce de façon assez juste, sur le fond, les mécanismes et l’enjeu de cette histoire. Pour le coup très forte et tout à fait captivante. Oscillant entre flashbacks et retours au présent, ce récit emprunte en effet diverses ramifications, non pas pour nous perdre mais pour témoigner de sa volonté de fouiller, quoi qu’il en coûte, le passé opaque, oppressant, arbitraire de l’Argentine des années 70. Celle, clairement, de la dictature de Peron. Et ça, non seulement c’est différent, mais c’est passionnant.
Ricardo, la classe…
Bien sûr que le fait divers initial, sordide, déclencheur de l’enquête, et sa résolution sinueuse, fatale, ne laissent pas d’intriguer. Activant l’inévitable voyeurisme tapi en chacun de nous. Bien sûr que l’amour indicible de deux des protagonistes, contrarié par des origines sociales incompatibles, bouleverse. D’autant plus qu’il est porté, transcendé par la classe formidable (et sexy) du comédien argentin Ricardo Darin (face à lui, Soledad Villamil est d’ailleurs une révélation). Bien sûr que le suspens de l’une et l’autre de ces histoires, évidemment mêlées, est habilement mené. Jusqu’au bout : l’ultime révélation de l’enquête est même un modèle en la matière… Dommage que Juan José Campanella, toujours dans son souci de séduire "à l’américaine", ait cru bon de lui adjoindre un épilogue romantico-attendu ! Il aurait dû faire confiance en la puissance visuelle et métaphorique de sa scène précédente, absolument saisissante et autrement plus cinématographique…
Cela étant, au-delà de l’efficacité de la narration, de la richesse des personnages ou du soin apporté aux images (sinon aux cadres, pas très recherchés), ce qui fait que Dans ses yeux déborde de son statut de "film à Oscar grand public", c’est sa soif inextinguible de justice. Et de réparation. Dans tous les sens du terme. Et là, par ce biais, on entre tout à coup dans une dimension bien plus abyssale que le seul plaisir combiné du drame lacrymal et du polar implacable. Ce que nous raconte ce film, rattrapé malheureusement par son goût du "happy end" conventionnel, c’est d’abord combien un non-dit, et/ou une mauvaise décision peuvent décider d’une vie, bien des années après. Et la tapisser de regrets. Et ce dont il nous parle, aussi, c’est de notre capacité à… fermer les yeux. A oublier (ou pas). Oublier l’être aimé, le seul, l’unique. Oublier les violences, les injustices, les lâchetés collectives. Et puisqu’il choisit, lui Juan José Campanella, et eux ses personnages, de ne pas renoncer, hé bien in fine… on reste sans voix ! Très fort…