Daaaaaalí !

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Dadalí !

Une jeune journaliste cherche à interviewer Dalí, malgré les caprices de l’artiste exubérant.

Contre-biopic

A première vue, le dernier film de Quentin Dupieux pourrait s’inscrire dans une nouvelle mode du cinéma français, celle du biopic. Bernadette, Tapie, Le consentement sur Gabriel Matzneff, et autant de grands comédiens grimés dans le but de les rapprocher le plus possible physiquement de la personnalité étudiée, tous ces films induisent dans leur dispositif un décalage entre représentation du réel basée sur une succession de faits historiques, et l’expérience du spectateur qui reconnaît un comédien sous une perruque. Très vite, Dupieux s’écarte de cette ligne, tout d’abord en multipliant les acteurs pour incarner Dalí, sans même le justifier par un vieillissement du personnage au fur et à mesure du film comme pourrait le faire un biopic plus traditionnel – on passe constamment de l’un à l’autre sans véritable règle. Ainsi, malgré la présence de comédiens habitués à briller à l’écran, le surnombre et le caractère aléatoire du passage de l’un à l’autre les force à s’effacer derrière le personnage. Contraints de s’aligner sur une imitation commune de Dalí, ils évitent le côté performatif des acteurs de biopics multi-récompensés. Le deuxième geste de Dupieux est de rejeter la succession de faits. Il ne s’agit pas d’un film sur l’homme inconnu du grand public caché derrière son image de télévision, mais bien un film qui prend pour seule base factuelle cette image. Dupieux nous avait pourtant prévenu dès le titre : DAAAAAALÌ !, non pas le nom du peintre, mais une prononciation, la manière dont il se nomme lui-même, dont il se construit une image de scène. Ainsi, ce qui caractérise Dalí.dans le film est finalement assez limité : une apparence, costume, canne et moustache, un accent et sa mégalomanie.

Monstre dé-sacré

Si ces caractéristiques, portées par des acteurs tous très drôles, sont les premières sources de comédie du film, Dupieux est loin de s’incliner béatement devant la figure Dalí. Filmé du point de vue du personnage joué par Anaïs Dumoustier, jeune journaliste qui cherche à interviewer le peintre, Dalí apparaît comme particulièrement insupportable. Il préfère produire des citations à la chaîne plutôt qu’à construire un véritable discours, et sa manière de s’exprimer entre alors en décalage avec la réalité concrète de la journaliste, organiser une rencontre, mobiliser une équipe, etc… Dupieux transforme la figure du grand artiste qui naviguerait dans le ciel des idées bien trop haut pour être compris, le « monstre sacré », en idéaliste totalement déconnecté du réel, de façon moqueuse. On peut y avoir une marque de respect pour le peintre, traité alors comme la figure surréaliste qu’il désirait être, avec sa part de grotesque façon personnage Dada. Ce déplacement dans la représentation est étonnant de la part d’un cinéaste qui s’est souvent retrouvé dans la position d’admirateur de grands comédiens, monstres sacrés en devenir plutôt que de véritable directeur d’acteur – Dujardin dans Le Daim, Chabat dans Réalité et Incroyable mais vrai, Poelvoorde dans Au poste, parfois laissés s’amuser devant la caméra comme gage d’efficacité comique. Cette diminution des acteurs masculins se double d’un deuxième étonnement au vue de la filmographie du cinéaste. Contrairement à la plupart de ses personnages féminins récents, limités à des clichés, la journaliste est plus intéressante car portée par une ambition, celle de progresser dans sa carrière, et mise en opposition à un milieu machiste. Elle se confronte à la violence de Dalí. d’abord, mais également à celle de son patron. Le cinéaste prend ainsi le contre-pied du cauchemar surréaliste attendu, et introduit brutalement dans un film construit comme un rêve une scène d’une froideur pragmatique tétanisante, le producteur du documentaire hurlant sur la journaliste pour l’humilier. 

Non peinture

Dalí semble être un sujet idéal pour Dupieux, adepte de l’absurde, des dysfonctionnement surréalistes, et des cadres désertiques propices la construction d’un univers mental. Le premier plan, un piano dans un désert duquel sort un jet d’eau ininterrompu, annonce pour la suite du film la rencontre attendue entre les figures du peintre et l’univers de non-sens de Dupieux. Pourtant, malgré une poignée d’images fonctionnant sur ce mode de rencontre disséminées au cours du film, c’est bien plus volontiers dans la construction temporelle du film qu’il s’appuie sur les intentions oniriques du surréalisme. L’hilarante arrivée de Dalí dans le film, attendue dans un hôtel par la journaliste, est perturbée par le montage qui rend le couloir interminable, en faisant constamment repartir le peintre de son point de départ. Dupieux s’amuse à pervertir les codes du scénario, en le faisant tourner en rond là où l’écriture scénaristique rationalisée exige une avancée dans l’histoire. Un homme invite à dîner le peintre pour qu’un prêtre lui raconte son rêve, espérant lui donner une idée de tableau. Si le rêve est dans un premier temps assez court, il se prolonge sans cesse dans des scènes de plus en plus longues et de plus en plus éloignée a priori d’un cadre onirique, le réveil du prêtre ne signifiant pas nécessairement un retour à la réalité mais éventuellement un prolongement du rêve dans un autre rêve. Ainsi, là où l’on croit avancer dans le récit, Dupieux se joue des règles diégétiques de son film en revenant brutalement en arrière à plusieurs reprises. Lorsque le spectateur a le temps d’oublier qu’il assiste encore à un rêve, le cinéaste travaille avec brio les points de rencontre entre le rire et le malaise. Plus tard dans le film, la journaliste, désemparée devant l’échec de son tournage, passe devant une salle de cinéma projetant un documentaire sur Dalí. Elle rentre et réalise qu’il s’agit de son propre film. On atteint alors les limites du film, les rêves dans les rêves et les assemblages de couches de récit se multipliant. En plus de reproduire sans inspiration nouvelle une scène de son Réalité, Dupieux semble ne pas s’avoir comment arrêter son film autrement qu’en essoufflant le spectateur, perdu face à l’affolement des passages d’une réalité à une autre.  

Titre original : Daaaaaalí !

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Durée : 77 mn


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