On le sait maintenant : les films de Quentin Dupieux sont complètement déjantés, surtout si l’on pense à Rubber (2009) qui racontait les aventures d’un pneu serial killer ou encore Steak avec Eric et Ramzy, film sur la chirurgie esthétique qui contribua à donner ses lettres de noblesse au jeu subtil d’Eric Judor. Réalité est le prénom d’une petite fille, interprétée par Kyla Kenedy (seul personnage adulte et grave du film), qui trouve un jour une cassette VHS dans les entrailles du sanglier que son père vient d’abattre à la chasse. Cette cassette ensanglantée, dégueulasse, qu’elle ira chercher parmi les viscères de l’animal qui ont été jetés dans une poubelle, rappelle bien sûr le cinéma des origines vraiment tripal, en hommage aussi à L’Écran fantastique, mais surtout à Videodrome de David Cronenberg (1983) dans lequel l’image naît vraiment du ventre comme lors d’un accouchement ou d’une fécondation.
Réalité porte mal son nom, tant il va crescendo dans l’histoire d’un homme pris au piège de ses rêves, à l’instar d’un film de Buñuel, tout autant que dans un film de Hitchcock dont Salvador Dali aurait écrit toute la trame. À peine entré dans la réalité, il faut en sortir au plus vite car il s’avère que la séquence que nous venons de voir est celle d’un rêve. Quentin Dupieux réserve ici de multiples surprises, voire des séquences qui pourraient devenir cultes telle celle de la remise des Oscars lors de laquelle le réalisateur est entouré de mannequins et ne peut se lever de son siège sur lequel il est collé. De même pour la séquence où il va au cinéma avec sa femme et qu’il découvre qu’on passe le film qu’il a imaginé et pour lequel il cherche sans grand espoir un producteur. Réalité n’est, cependant, pas une oeuvre sur la mise en abyme, même si elle la présente pratiquement dans tous les plans. Il s’agit plutôt d’un film dérangeant qui, sous ses dehors de série Z, est d’une profondeur infinie sur l’inconscient, sur la création artistique et sur la vérité. En fait, de désopilante et comique, chacune des scènes bascule dans l’angoisse et le pathétique, notamment dans des passages burlesques comme ce proviseur qui se travestit en femme da façon absurde et grotesque, (interprété par Eric Warehelm, l’un des flics de Wrong Cops). C’est le but réussi que de rendre dérangeante une histoire de film dans le film, en déréalisant la réalité tout en donnant le nom de Réalité au film lui-même. « Mon vrai cauchemar, explique à son tour Quentin Dupieux dans le dossier de presse, serait de faire un film qui ne plairait qu’à moi. C’est pour ça que je m’efforce toujours d’utiliser les codes de la vraie vie. » En les distordant pour les rendre absurdes, comme la vraie vie l’est souvent !