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L’ultra indépendante Cheyenne Marie Carron met en scène l’assassinat du père Hamel.

La rencontre de deux destins

Les destins du père Jacques Hamel et d’Adel Kermiche n’auraient jamais dû se rencontrer un jour de juillet 2016 en l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray. Et pourtant, ce père de 85 ans a succombé à la fin de la célébration de sa messe aux coups de poignard de ce jeune homme d’à peine dix-neuf ans, issu pourtant d’une famille maghrébine aimante et prospère, mais lui-même radicalisé. Le jour où elle apprend cet assassinat, Cheyenne Marie Carron se rend dans le village pour prier dans son église, même si elle ne connaissait pas personnellement le prêtre, et se jure de lui consacrer un film en tant que catholique, emplie d’une foi magnifiant la bonté et le partage. 

Une réalisatrice hors système

C’est donc ce film qui sort sur les écrans et que Cheyenne Marie Carron distribue elle-même alors qu’elle est maintenant à la tête d’une quinzaine d’opus. L’establishment ne lui reconnaît aucun droit, notamment auprès du CNC et l’Etat ne lui verse aucune subvention alors qu’elle en mériterait une amplement. La réalisatrice en souffre bien sûr car cette non-reconnaissance lui donne encore plus de travail, et on doit la soutenir et l’encourager ainsi que j’ai toujours tenté de le faire à travers mes critiques. Sans amertume, et avec un courage exemplaire, elle se qualifie de « hors système, c’est-à-dire que je ne perçois aucune subvention de l’Etat et que je dois donc me débrouiller toute seule pour réaliser mes films. » Sur ce coup, seul Canal+ a promis un achat du film après exploitation. 

« Je n’ai pas peur, j’ai pitié »

Et malgré tout, et sans doute encore plus (si c’est possible…) que dans ses précédentes réalisations, Cheyenne Marie Carron nous livre un film abouti, intelligent, plein d’humanité, sans afféterie ni prêchi-prêcha. Pour elle, nul besoin de déposer des fleurs ou des nounours sur le lieu du drame : passé le temps de l’effroi, le chrétien trouve toujours le chemin du pardon qui est l’une des pierres d’enracinement de sa religion. Elle ne pouvait pas montrer mieux ce paradoxe qu’au cours d’une séquence où elle fait se rencontrer dans l’église, juste après son crime, le jeune Adel et une religieuse. Il lui demande si elle a peur. Elle se retourne lentement vers lui et lui déclare en le regardant dans les yeux : « Je n’ai pas peur, j’ai pitié. » Tout est dit. 

Hommage aux Misérables

Il faut préciser ici que le film est particulièrement bien interprété et que cette fiction hommage ressemble presque à un documentaire dans la mesure où aucun des personnages n’est ni caricatural, ni trop exemplaire. Même le père Hamel, qui ne méritait pas cette mort atroce, est montré comme l’homme modeste et pauvre qu’il était. En effet, le père Hamel n’avait pas d’argent pour se vêtir ou manger, sa sœur ou des ouailles l’aidaient parfois, alors qu’il pratiquait naturellement la plus belle des charités envers les pauvres et les mendiants. C’est sans doute pour mettre l’accent sur cette bonté que Cheyenne Marie Carron a tenu à rappeler à la fois les Lumières de Voltaire (qui est l’auteur de chevet depuis l’enfance de la mère d’Adel) et la puissance de Victor Hugo en replaçant dans son film le célébrissime passage des Misérables dans lequel Jean Valjean, après avoir été recueilli par Mgr Myriel, évêque de Digne, vole ses chandeliers. Tout le monde se souvient de ce moment très émouvant où le prêtre déclare ensuite aux gendarmes venus enquêter que ces chandeliers, il les lui avait donnés. 

Le diable probablement

Cheyenne Marie Carron a bien compris elle aussi le message de Victor Hugo. Elle ne veut pas faire un film seulement pour les catholiques. Elle parle de l’universel comme tous les sages qui nous ont précédés. « Ces jeunes qui vont vers leur propre destruction, parfois sous l’influence de personnes croisées en prison ou dans les mosquées des caves, déclare-t-elle dans L’Incorrect, eux aussi sont à plaindre. C’est le mal, c’est l’opposé du père Hamel, ce sont les ténèbres qui affrontent la lumière. Je veux montrer les dangers de ce radicalisme islamique. L’assassinat du prêtre est une offense à Dieu. » Le diable probablement aurait dit un autre cinéaste dont, avec Maurice Pialat, Cheyenne Marie Carron est sans doute l’héritière, elle qui parvient à réaliser ses films sans argent ni entregent. 

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Durée : 108 mn


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