Monkey Man

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Le film d’action de Dev Patel est sorti. Verdict : Curiosité négligeable, ou premier coup de poing prometteur ?

Monkey business : Récolte d’un régime de tatanes brutales.

À l’âge de 33 ans, l’acteur londonien Dev Patel n’a peut-être plus tout à fait la tête de prodige introverti et le grand sourire embarrassant qui le caractérisaient, dans des films comme Slumdog Millionaire, mais il continue, sans se presser, de rouler sa bosse dans une filmographie qui nous confirme qu’il est toujours ce garçon gentil et respectueux qu’on aimerait présenter à nos familles. Même quand il tranche des gorges et qu’il écrase des mâchoires dans Monkey Man, son premier long-métrage en tant que réalisateur, ses yeux conservent cette lueur pensive que partagent tous les gendres idéaux. Il est couvert de sang, mais il n’est jamais terrifiant. Il est musclé, et il est beau, mais il ne l’est jamais d’une façon trop menaçante ou intense, puisqu’il n’est pas réellement sexualisé. Quand le personnage de « Kid » (ou « Bobby », ou « La Bête », entre autres surnoms que lui donne son film) distribue, sans modération, des patates ensanglantées, le spectateur du film n’est pas mal à l’aise, car il le fait avec toutes les justifications morales que Patel peut lui octroyer; Avec toute la candeur que son réalisateur- interprète se donne le droit de conserver, dans le script qu’il a co-écrit accompagné de Paul Anguanawela et John Collee. Au fond, la démarche de Patel a quelque chose d’enfantin. Cela pourrait être maladroit ou mièvre, mais ça semble venir d’un endroit authentique, pour la star de The Green Knight. Après tout, même dans ce film de David Lowery ou dans The Personal History of David Copperfield, d’Armando Iannucci, Patel donnait des partitions très peu prétentieuses ou échafaudées. Ce n’est pas un acteur de froufrous dramaturgiques ou de chichis performatifs. C’est un artiste franc, lequel a réussi, en une poignée de rôles, à se spécialiser dans des personnages qui tirent une force de leur simplicité. Ils ont une intériorité, mais gardent une discrétion à son sujet. Ils ont des ambitions, des buts, mais ceux-ci sont souvent fixes et très lisibles. Patel préfère dépeindre, à coups de crayons, de grandes lignes de fuites émotionnelles romantiques, plutôt que de trop nous illustrer les mécaniques de telle ou telle réflexion précise. Ses personnages sont quasiment des héros de BD. Et dans Monkey Man, malgré le titre que Patel lui a donné, Kid est une figure de Lucky Luke plutôt qu’un super-héros de comics à la Marvel ou DC. Lucky Luke sans l’humour caustique que lui a apporté René Goscinny, du moins.

Kid, donc, est ce grand enfant balèze et tuméfié qui encaisse plus de coups qu’il n’en rend, et qui vit de travaux ingrats et de combats clandestins à Bombay. Quand il ne porte pas son humiliant masque de guerrier-singe, il glane des renseignements sur Queenie Kapoor (Ashwini Kalsekar), une baronne qui devrait le mener au chef de police Rana Singh (Sikandar Kher), qui devrait lui-même le mener au parrain Baba Shakti (Makarand Deshpande), autant de grands rouages dans une machination nationaliste laquelle a, on finit par l’apprendre, rasé le village de son enfance. Au détour d’une opportunité, Kid parvient à entrer dans le business hôtelier de Kapoor. Il gravit les échelons. Le premier tiers du film, se déroulant dans ce monde du luxe, est l’occasion pour Patel de mettre en scène les gratte-ciels qu’on peut trouver dans les agglomérations urbaines en Inde. Avec ses lumières néons, ses costumes trois pièces qui coûtent deux bras, et sa musique diégétique qui arrachera de jolis boum-boums aux enceintes des salles qui le diffuseront, l’ambiance audiovisuelle de Monkey Man nous fait vite penser à John Wick. Ce n’est pas tout à fait ce que le réalisateur visait : En interview, Patel professe son admiration pour le travail de cinéastes comme Park Chan-Wook et Kim Jee-Woon. Ce n’est pourtant pas Old Boy qui est cité dans les dialogues du film, mais bien le tueur à gages interprété par Keanu Reeves…

En invoquant des grands noms internationaux qui ont fait bougé le genre du thriller, Patel brigue une hauteur et une grande noblesse sensible, sensitive que son film n’a pas. Monkey Man n’est qu’un blockbuster à la mode ! Il n’y a pas nécessairement de mal à cet état de fait. Dans la grosse scène d’action qui ferme le premier acte du film, contre le chef Singh et sa garde rapprochée, Patel mobilise les morceaux Roxane, de The Police, et Somebody To Love, de Jefferson Airplane. Une manière pour lui et pour son superviseur musique Peymon Maskan de nous souligner qu’ils ont de vieilles âmes ? Pas vraiment : c’est aujourd’hui chic d’être nostalgique, d’aimer les classiques. Le montage de la musique, dirigé par Rich Walters, mixe ces chansons de sorte à ce qu’on entende surtout les vocales. Cette approche nous fait penser à une certaine philosophie de remix et de mash-up qui nous semble être très plébiscité, ces jours-ci, sur des plateformes comme TikTok. En ceci, la scène adopte une posture de clubbeur, de raveur, et de cool kid. Mais la « coolitude » qu’elle invoque n’est pas le cool courageux des punks, des vrais marginaux. C’est une coolitude justifiée par l’avancée du temps, une forme qu’on présente à nos rétines après que la bataille ait été gagnée. Patel ne prend pas le risque d’être trop perché. On le sait désormais, grâce à cette œuvre dont il est l’auteur le plus déterminant, c’est un artiste qui n’a aucune énergie « no care ». Par moments, on se dit qu’au contraire, Patel se soucie trop fort, qu’il essaie trop, et de façon trop évidente.

Vers la fin du film, Kid est amené à découper un pouce. C’est comme si, réalisant que son personnage continuait à déborder de pureté malgré toute la violence dont il se montrait capable, Patel avait voulu lui donner au moins un moment où il agissait comme un vrai dur. Mais Kid a trop de cœur. Patel a trop de cœur. Monkey Man a trop de cœur ! La candeur du film conduit le spectateur à lui donner beaucoup de bonne foi, et même à pardonner les longueurs de séquences d’initiation spirituelle. Patel aurait donc dû s’abandonner à son attirance pour le premier degré à 100%, au lieu de ne le faire qu’à 90%.

On le répète, le personnage de Kid est un Lucky Luke. À minima, un Luke en devenir. Il arrive dans une petite communauté, se prend d’affection pour ses membres les plus fragiles, et offre de les défendre, sans rien attendre en retour. Comme Luke, il vit dans un monde où les armes devraient être omniprésentes, mais elles ne le sont au final que quand lui a le temps d’anticiper les coups traîtres. Surtout, comme Luke, Kid vit dans une société où la prostitution suggérée existe : dans Monkey Man, le héros évolue dans un milieu gangréné par le proxénétisme. Mais la réalité du commerce du sexe est éludée par la mise en scène. Même une scène où un client envahissant donne une fessée à Sita (Sobhita Dhulipala) est cadrée si près qu’on distingue à peine ce dont il s’agit. C’est une main sur de la peau, de la chair. L’horreur n’est pas tellement la violence sexuelle dans ce qu’elle a de destructeur, de négateur de l’identité de la victime, mais l’idée vague que beaucoup d’hommes, contrairement à Kid, pourraient ne pas respecter les femmes. Quand il nous montre des flashbacks du passé tragique de Kid, Patel nous montre qu’il est né immaculata conceptio. L’existence d’un père, ou de fait, de quelconque figure masculine formative pour lui, n’est même pas esquissée. Encore une fois, Kid et Patel sont les gendres parfaits : ils s’émeuvent du sort des femmes (et des hijras) si ardemment et si profondément que ce militantisme sous-entendu paraît plus constitutif au film que les astuces que Patel emprunte aux cinéastes avec qui il a collaboré en tant qu’acteur. C’est-à-dire, un théâtre de marionnettes, qu’il reprend de Lowery, et la distribution de Sharlto Copley, qu’il reprend de Neil Blomkamp, et à qui il fait jouer sa vraie nationalité d’afrikaaner.

Monkey Man, le meilleur film, hors-Peele, des Studios Monkeypaw.

Mon ami, l’acteur-boxeur Guillaume Rolland, m’a récemment dit, au sujet des comédiens et des chorégraphies de combat, au cinéma : « Je vois ça comme une forme de boxe-thérapie. Il y a l’idée de raconter une histoire avec son corps, comme dans la danse, mais même avant d’en arriver là, ça fonctionne comme de l’expulsion. On jette tout, ses complexes, ses automatismes, etc… C’est une façon très rapide d’enlever tout ce qui est en trop, toutes les pensées qui ne servent pas à la scène. Ça ramène au présent. » Une forme d’expiation, de catharsis, en somme, signée dans les hématomes et les dents tombées. Il y a quelque chose de cet ordre-là dans Monkey Man, œuvre dans laquelle on pourrait dire que Dev Patel aime se punir et se mettre à nu (on pense à la scène où Patel métaphorise une ouverture spirituelle chez Kid par une ouverture physique dans son torse). Mais le long-métrage, à notre avis, aurait aussi gagné à aller piocher dans une autre approche, très bien illustrée par deux des plus célèbres acteurs qui signent leurs propres cascades. Dev Patel, à notre opinion, devrait regarder plus de films avec Jackie Chan et Jet Li. En s’inspirant d’eux et de leurs langages corporels universels, à ce point aboutis qu’ils sont compréhensibles de tout le monde, y compris les enfants, Patel aurait peut-être pu réconcilier plus élégamment les différentes tensions qui électrisent son film.

Il y a deux loups dans Monkey Man : l’un veux être cool et excitant, il fait de Monkey, dans certaines scènes, l’un des produits les plus « 2024 » qu’on puisse commenter. L’autre est intéressé par une éthique de création plus sincère, plus ingénue et originelle. Monkey Man, à plusieurs reprises, cite la légende du grand héros épique Hanumān, le dieu-singe du Rāmāyana. Il aurait peut-être pu davantage s’enfoncer dans cette direction et nous donner en spectacle des personnages mythologisés, non pas grossièrement mais grandiosement dessinés, moins limités par les exigences de la verisimilitude qu’ils le sont ici (c’est, dans notre souvenir, ce que Chan et Li avaient tenté de faire dans Le Royaume Interdit, film dans lequel Li jouait Sun Wukong, le roi-singe). En outre, Dev Patel semble avoir un pôle comique qui le démange, et ça aussi, on aurait aimé le voir plus développé, et mieux intégré au paysage en cascades du long-métrage. Le personnage humoristique d’Alphonso (Pitobash, qu’on a vu en France dans 7 Jours Pas Plus), en particulier, nous semble avoir été victime d’un éventuel remontage. Il tombe hors du récit, c’est distrayant.

Nous sommes entre deux esprits au sujet de l’avenir, pour Dev Patel. D’un côté, on se dit qu’il pourrait tout à fait jouer dans, et réaliser le prochain opus de James Bond. En effet, Patel est britannique, athlétique, et il est jeune : c’est ce que cherchent, apparemment, les ayants-droits. Il est très à l’aise en menswear haut de gamme (comme nous le prouvent ses spots pour Ermenegildo) et il n’a pas d’engagement vis-à-vis d’une autre franchise. Surtout, il vient de nous le démontrer avec Monkey Man, il est raisonnablement doué et inventif pour filmer de l’action, il peut aller très loin avec un budget relativement petit (Monkey n’a couté que 10 millions de dollars), et il a déjà relevé le défi productionnel de rebondir d’un pays de tournage à un autre. Cette adaptabilité est une corde très utile à avoir à son arc, qui a déjà sauvé le tournage d’au moins un James Bond. D’un autre côté, on a du mal à l’imaginer faire quelque chose d’intéressant avec la séduction caractéristique de Bond et à cocher intelligemment, dans le cahier des charges, la case « Bond Girl ». Dans Monkey Man, Kid est tellement déférent envers le féminin sacré, qu’il n’ose jamais approcher d’autres personnages avec des intentions romantiques. Au mieux, il échange quelques regards significatifs avec Sita. C’est assez malingre. C’est quand même étonnant qu’un film sorti en 2024, produit par Jordan Peele de surcroit, se montre pudique au point de réinventer le Code Hays. À quand la suite, où ils pourront se tenir la main ?

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Durée : 121 mn


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