Chaussure à son pied

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Par la satire sociale, cette comédie de moeurs tourne en dérision les travers de l’institution maritale. Entre Cendrillon et Le Roi Lear, la pochade étrille la misogynie patriarcale à travers la figure tutélaire de butor histrionique joué avec force cabotinage par Charles Laughton. Falstaffien en coffret dvd blue-ray.

Masculinité tyrannique et féminisme montant

Le choix de Hobson est un semblant de choix en forme de marché de dupes qui, par définition, ne laisse aucun libre arbitre. L’origine de l’expression non sensique anglaise est attribuée à Thomas Hobson, propriétaire avisé d’une vaste écurie de chevaux de louage au 16éme siècle à Cambridge. Ingénieusement, il avait pour habitude d’offrir à ses clients de passage la fausse alternative entre opter pour la monture dans son box le plus proche de la porte ou ne rien prendre et s’en aller bredouilles comme ils étaient venus. De quoi « désarçonner» le chaland avant qu’il se décide à enfourcher « la plus belle conquête de l’homme ». Hobson s’appliquait à lui-même l’adage : qui veut aller loin, ménage sa monture.

A l’origine une pièce de théâtre régionaliste signée en 1915 de son auteur-dramaturge Harold Brighouse, Chaussure à son pied est une savoureuse et indémodable ode aux modestes vertus de la classe moyenne par l’intrusion pittoresque de l’idiome du Lancashire en 1880, à Salford, dans la banlieue de Manchester au nord de l’Angleterre.

Aboyant ses ordres à son entourage en jupons,Henri Horatio Hobson, propriétaire prospère d’une échoppe de bottes, satisfait aux besoins d’une clientèle huppée tout en vendant des sabots « bon marché » et des lacets à la populace ouvrière des bas quartiers.

Ne versant aucun salaire à ses filles, Hobson refuse jusqu’à l’idée de payer les dots de ses cadettes en mal de mariages et dénie ce droit légitime à l’aînée qu’il s’est appropriée et qu’il juge à trente ans comme un fruit décidément trop mur pour attirer les beaux partis. Veuf aigri, il se réfugie au pub Moonraker pour ses libations journalières et n’en ressort que pour se faire servir ses repas ; laissant la gestion de la boutique à Maggie qu’il exploite éhontément. Il n’est pas prêt de renoncer à une « vie de café » selon le mot de Stendhal pour qualifier l’existence facile des nantis de cette époque.

Face à sa masculinité tyrannique et à celle de ses pairs qui raillent le sexe faible considéré pour son infériorité congénitale comme des biens mobiliers qu’on déplace, l’affirmation d’un féminisme montant vient tempérer une franche misogynie et misanthropie de classe d’étroite observance maçonnique qui favorisera l’éclosion du mouvement des suffragettes au tournant du 19éme siècle.

La métamorphose de Maggie participe de cette émancipation de « cendrillon » se muant en militante « bon teint » des droits féminins accordés par le mariage qu’elle s’évertue d’appliquer d’abord à elle-même et à ses soeurs.

 

 

Intempérant et despotique, le falstaffien Hobson

Homme d’affaires roué, atrabilaire et peu scrupuleux, Henri Horatio Hobson, de prospère, se retrouve, du jour au lendemain,défait,ruiné et miné par l’excès d’alcool qui le conduit au delirium tremens. Personnage dispepsique à la rotondité exubérante,il emprunte l’apparence du capitaine Bligh dans une posture mimétique naturelle lorsque, de rage contenue, il « tanne le cuir » de Willie Mossop au moyen d’une sangle. Il partage cette démesure du Roi Lear, homme colérique et impotent, acharné à ruiner les chances de mariage de la plus loyale de ses filles.

Privé de son meilleur artisan, il sombre peu à peu dans la déchéance tandis que son commerce bat de l’aile au point de risquer la banqueroute. Malade et bientôt alité, il ravale son ego et doit envisager la désagréable perspective d’être nursé par sa fille aînée Maggie. Ses filles cadettes, tous soins dehors pour leurs prétendants, ayant refusé de le prendre en charge, il n’a d’autre alternative que d’accepter l’offre de Maggie qui le contraint à abandonner sans conditions le contrôle de son échoppe de bottes à elle et son mari.

Félicité maritale et méritocratie : les deux font la paire

Dans l’adaptation de David Lean, la « plus belle conquête de l’homme » est bien la femme et non le cheval. La seule façon de vivre en harmonie avec la gent féminine est de composer avec elle ou d’accepter de souffrir une vie de douleur et d’émasculation chronique et progressive. La farce sociale écaille au passage le vernis de la félicité maritale dans ce qu’elle retient d’odieusement contraint tandis qu’elle loue la méritocratie par le travail et l’émancipation qu’il procure.

Chaussure à son pied met l’accent sur l’opportunité de la rencontre providentielle entre Maggie Hobson (Brenda de Banzie) et Willie Mossop (John Mills), couple industrieux et entreprenant qui se découvre plus d’une affinité dans cette Angleterre des archaïsmes et du brassage des classes.

David Lean croque ce petit « peuple de boutiquiers », selon l’expression de l’économiste Adam Smith, qui caractérise l’Angleterre victorienne de l’industrialisation avec la même méticulosité du détail et la précision foisonnante de la notation descriptive de ses adaptations dickensiennes.

 

 

« Le désir d’une femme est un territoire sans limite »

La prospérité du petit commerce prime avant tout. Moquée par son rustre de père qui l »a définitivement cataloguée comme une vieille fille repoussoir, la dissuadant de courir les prétendants comme ses soeurs, Maggie va se créer de toutes pièces son homme en la personne effacée et timorée de Willie dont elle veut faire l’éducation pour reprendre le contrôle d’une existence jusque là dévolue à un pater familias outrancièrement despotique, excentrique et égocentrique.

Comme il est dit dans le roi Lear, le désir d’une femme est un territoire sans limite. Elle façonne son homme avec la même dextérité qu’il façonne le cuir. Elle ira jusqu’à le rabrouer et le rudoyer pour qu’il se fasse à l’idée du mariage. Le couple détone au physique : John Mills avec sa coiffure de moule à pudding et Brenda de Banzie une coquetterie dans les yeux qui dément une grande tendresse sous l’écorce d’une personnalité autoritaire comme son père.

La parade nuptiale amoureuse qui prélude à la nuit de noces est un morceau de bravoure tout en retenue. David Lean filme Willie emprunté ; enfilant son pyjama tandis qu’il fait antichambre. Il fourrage pensivement l’âtre du fourneau en remuant les braises avec un tisonnier comme pour se donner du coeur à l’ouvrage attendant que Maggie ait fini de s’apprêter pour la rejoindre dans la chambre. Le même geste suggestif du tisonnier est répété à l’inverse par Maggie le lendemain au réveil et l’empressement de Willie ne laisse plus aucun doute sur la consommation du mariage.

Les héros de Lean sont des rêveurs qui accomplissent de grandes choses.Mais ,comme Maggie, et bien qu’ils aient de grandes espérances, ils savent rester pragmatiques et s’ajuster aux réalités du quotidien.

D’une surface lustrée comme de la vaisselle en étain, la photographie de Jack Heldyard confère aux rues pavées de Salford cette dimension presque tactile. Fin soul, Hobson se raccroche à un réverbère et poursuit la réflexion de la lune dans les fondrières tel Narcisse cherchant désespérément son reflet dans la flaque d’eau.

 

Tamasa distributeur du coffret double

Titre original : Hobson's choice

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Durée : 110 mn


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