Assaut (Assault on Precinct 13 – John Carpenter, 1976)

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Film conspué puis érigé en objet de culte, « Assaut » provoque la rencontre entre deux univers de cinéma : le classicisme et la contre-culture.

Deuxième long métrage de John Carpenter après le méconnu Dark Star (1974), Assaut est souvent considéré comme le premier épisode d’une œuvre dont on pourra reconnaître la signature, film après film. On dit en effet d’un auteur qu’il est identifiable à sa façon de concentrer dans son premier film des obsessions qu’il ne cessera de répéter, d’étaler ou d’affiner, au fil de sa filmographie.

    

  

À la conquête de l’Ouest moderne

Assaut, c’est d’abord la déclaration d’amour d’un enfant qui a grandi au milieu de cowboys et d’Indiens, de héros gentils et de vilains méchants. La référence revendiquée à Howard Hawks, et tout particulièrement à Rio Bravo (1959) – mais aussi La Rivière rouge (1948) – se mêle à d’autres cinéastes, de Sam Peckinpah à Don Siegel. Leurs points communs se caractériseraient par une même obsession : cette volonté de peindre une extrême violence inhérente à l’histoire des États-Unis. Film totalement incompris à sa sortie, rejeté pour sa facture réactionnaire, Assaut aura du mal à trouver sa place dans un cinéma américain qui n’en avait pas fini avec le Nouvel Hollywood.
 
Pourtant, derrière le vernis craquelé de la nostalgie, le film se révèle fascinant par sa capacité à trouver son espace de singularité, en glissant progressivement vers une pure abstraction. D’une certaine façon, les leçons enseignées par le western n’ont cours que pour donner corps à Los Angeles, ville caractérisée par une étendue sans limite visible, et par une horizontalité propice à l’usage du CinémaScope. Ce nouveau Grand Ouest américain, incarné par son calme étrange et son absence de passants, devient l’expression d’une tension inattendue, à l’encontre d’une logique qui voudrait traditionnellement resserrer l’espace.

Ce labyrinthe trop grand, monstre urbain à l’échelle inhumaine, ne peut aboutir qu’à la perdition des âmes, et à la désorientation – physique et psychologique – de ses habitants. Le décor, traité comme un personnage à part entière, suit naturellement le cycle du soleil. Motif de western par excellence, il est utilisé, d’une part, au début du film, pour renforcer l’immersion dans un récit éclaté entre ses différents personnages. D’autre part, le cycle solaire entraîne le récit, d’heure en heure, vers une issue inéluctable, une fois la nuit tombée. On pense notamment à la tradition tragique antique, qui se jouait en temps réel et à ciel ouvert.

 

 
 

Manichéisme des formes

C’est d’ailleurs au début de la matinée que nous faisons connaissance avec Ethan Bishop, flic sortant d’un joli pavillon, et prêt à embrasser le destin du héros avec sourire et dévouement. C’est ensuite au tour du personnage de Napoléon de nous être présenté. Anti-héros par essence, ce prisonnier, dont l’impassibilité et l’ironie – sans compter son obsession pour la cigarette – évoque évidemment la dégaine du futur Snake Plissken. Enfin, un père et sa fille arrivant fraîchement à Los Angeles, incarnent une figure plus neutre cette fois, du moins plus équilibrée, désignant la volonté de Carpenter de constituer une galerie de personnages variés. Pourtant, chacun sera poussé par un bras invisible, et sera porté vers ce même horizon, déterminé par les forces obscures de la ville.

Carpenter prend le temps de les caractériser généreusement, bien qu’avec une certaine naïveté propre à la bande dessinée, et ceux-ci se retrouvent dès le départ mis en opposition avec une menace sans identité apparente. Présenté à travers un rite tribal où chacun fait couler son sang au creux d’une coupe, évoquant la cérémonie sacrificielle propre la figure de l’Indien, le gang ne s’identifie pourtant à aucune ethnie particulière : le blanc se mélange au chicanos et à l’asiatique, et chacun semble vite se fondre dans l’architecture une fois la nuit tombée, troquant leur identité contre un corps muet et sans visage, produit et incarnation monstrueuse de l’enfer urbain.

Il est amusant d’observer la dimension prophétique derrière cette représentation de John Carpenter, dépeignant de façon troublante cette distance progressive opérée au sein du peuple, débouchant sur la ghettoïsation sociale, ainsi qu’à la possibilité d’un chaos au cœur même d’une architecture sécurisante. Échec d’un système aussi, lorsque le prolétariat perd son visage, rendu inhumain et marginalisé, tout en continuant d’exister au cœur des sociétés modernes. Dans cette perspective, la menace enfantée par la ville surgit d’un décor paisible et silencieux, entre la pelouse, les arbres et les voitures impeccablement garées. On pense, dès lors, à ces longs travellings parcourant les quartiers pavillonnaires dans Halloween, la nuit des masques (1978), dans des rues silencieuses et arborées par de jolies lycéennes en jupettes, à l’intérieur desquelles surgira plus tard, la silhouette mythique et monstrueuse de Michael Myers.

Toujours dans le détournement des motifs propres au cinéma de Hawks, et plus généralement du western, il semble nécessaire de jouer sur l’opposition des figures, afin de permettre au relief de surgir. Cette idée s’incarne toute entière dans cette image terrible, et toujours aussi subversive de nos jours, où la petite fille à la chevelure d’or se fait pulvériser par une balle, qui entre-temps, a fait exploser son cornet de glace.

  

 

Un tiroir à double fond

C’est pourtant bien dans ce manichéisme des formes, dans ces contrastes marqués, que Assaut puise une forme d’élégance rare, que l’on pourrait qualifier de pureté. Il s’y cache en effet l’idée d’un cinéma à double fond, où l’horreur a besoin de traverser une première surface, pour finalement se révéler toute entière.

La séquence mettant en scène le premier « assaut », et qui aura participé au culte qui s’est développé plus tard autour du film, est passionnante sur cette idée qu’une réalité, à terme, finit par en révéler une autre. En effet, les personnages, alors séquestrés à l’intérieur du poste de police, sont foudroyés par une attaque qui semble orchestrée par une force surnaturelle. Des balles insonorisées par des silencieux traversent de toute part les différents espaces, réduisant le décor en pièces, et faisant voltiger papier et bris de verre dans une danse aussi macabre que cinégénique. Encore une fois, la double idée consiste à présenter le décor policier, incarnation même de la sécurité dans l’imaginaire collectif, comme un espace extrêmement vulnérable. Dans le même temps se révèle la réalité d’une civilisation prônant l’éternité, au travers d’imposantes structures solides, mais dont paradoxalement le mythe s’effondre, en quelques secondes, comme un château de sable piétiné par un enfant.

 

 

Le cycle de la violence

C’est donc bien dans ce recyclage du classique – qui aura d’ailleurs valu au film d’être taxé de réactionnaire et d’extrême-droite à sa sortie – que Assaut tire paradoxalement toute sa modernité, et sa force subversive. L’amour pour les figures héroïques au milieu du désert aride, ces silhouettes éminemment verticales face à l’horizontalité du monde, l’éternel affrontement entre les cowboys et les Indiens ; chacun s’érigeant comme contradiction formelle (et donc morale) de l’autre, définissent la beauté plastique, car presque enfantine, du western classique américain. Mais c’est au cœur d’un Los Angeles contemporain, au fil des grandes avenues où s’étendent les palmiers, surplombés du soleil rougeoyant du Grand Ouest, que John Carpenter parvient à réveiller les esprits primitifs de l’Amérique. Nation qui, d’ailleurs, n’a toujours su exister que dans le fantasme d’une rivalité avec un ennemi symbolique.

Mais le cinéma de John Carpenter, dont la force de représentation s’est toujours traduite par la subjectivité, voit la rivalité s’inverser, une fois le point de vue déporté dans le camp adverse – celui du gang. En effet, dans une séquence introduisant le film, le « sans visage » n’est plus le marginal, mais bien le policier, réduit à une paire de bras agitant un fusil à pompe. Un monstre invisible qui, à son tour, désintègre les corps de voyous traqués comme des rats. Il faut signaler que ce court passage ouvrant le film ne figurait pas dans le scénario écrit par Carpenter, mais a été rajouté par le producteur. Un tantinet explicite, cette ouverture a le désavantage de justifier, par l’usage d’une backstory, les motivations d’un agresseur qui n’en avait pas besoin, au risque d’affecter l’unité temporelle du film.

Ce début aura tout de même le mérite de présager de la future carrière de John Carpenter, cinéaste old school qui fera de l’effritement des sociétés modernes une obsession, traversées par des héros de plus en plus anachroniques, car intangibles dans leurs valeurs. Si l’on repense à la séquence finale de Los Angeles 2013 (1996), où Snake Plissken éteint littéralement le monde, il est possible d’imaginer que pour John Carpenter, le début d’un nouveau cycle serait l’éternel retour vers cette image d’Épinal : celle de John Wayne, seul au milieu d’un désert, le visage cramé par le soleil de l’Ouest.

Titre original : Assault on Precinct 13

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Durée : 91 mn


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