Une simple histoire de fleurs. Tel est, pour faire court, le point de départ de Adaptation. John Laroche (Chris Cooper), botaniste excentrique en quête de précieuses orchidées, est arrêté pour braconnage en Floride. Son procès attire l’attention de Susan Orlean (Meryl Streep), journaliste qui décide d’enquêter sur cet homme et de lui consacrer une série d’articles, puis un ouvrage. Le livre est un succès et intéresse désormais le cinéma. Pour l’adapter, les producteurs font appel à Charlie Kaufman (Nicolas Cage). C’est ainsi que débute le film et là que réside son originalité : sous les traits de Nicolas Cage, c’est Charlie Kaufman, le scénariste de Adaptation, que Spike Jonze met en scène. Il s’agit de la deuxième collaboration entre les deux hommes, après le remarqué Dans la peau de John Malkovich (1999), et le film prolonge cette volonté de mettre en scène une figure du cinéma dans son propre rôle. La grande idée – un brin narcissique – de Kaufman est ici de nous proposer un script dans lequel nous le voyons lui-même à l’écriture de son nouveau scénario. L’exercice est périlleux mais s’avère ludique, la première séquence présentant Charlie aux côtés de John Malkovich sur le plateau de tournage de son premier grand succès suffisant à nous mettre dans le bain. Au-delà du caméo, cette scène pose le personnage de Charlie, reconnu comme scénariste de génie mais également comme homme à la timidité maladive, qui peine à s’affirmer au-delà de ses écrits et à qui l’on demande gentiment de dégager du plateau.
La première partie de Adaptation est construite autour de trois périodes : la rencontre entre Susan et Laroche, l’écriture du livre par la journaliste, la tentative d’adaptation de Charlie. Le dispositif narratif est classique et n’a rien du foutraque qu’on imagine au début, la juxtaposition de séquences bien identifiées dans le temps s’avérant même un peu lourde. On sent pourtant que Spike Jonze essaye de bousculer cette rigidité narrative en proposant un cinéma très visuel, s’efforçant de projeter chaque élément du script à l’écran. Ainsi quand le scénariste, viré du plateau, s’interroge sur sa place ici-bas, une séquence défile en accéléré, depuis la création de l’univers jusqu’à la naissance de Charlie. Si le procédé se répète à plusieurs reprises et que le résultat n’est pas toujours aussi heureux, ces courtes digressions visuelles nous rappellent tout le talent de Spike Jonze pour le video clip, bon moyen ici de casser la narration et de s’amuser avec quelques effets de cinéma.
Au-delà de ça, le film entre assez rapidement dans un petit schéma ronronnant, à l’image de la relation très plate qui unit Susan et Laroche. Si le personnage de Laroche est plutôt bien écrit – la justesse de l’interprétation de Chris Cooper lui valant d’ailleurs un Oscar du meilleur acteur dans un second rôle -, on peine cependant à partager la fascination que Susan a pour lui. En réalité, dans sa première moitié, la complexité du film et sa supposée folie sont à trouver dans la prestation de Nicolas Cage. Incarnant à la fois Charlie Kaufman et son frère Donald, lui aussi scénariste mais personnage cette fois-ci purement fictif, il a toute la liberté d’user du comportement diamétralement opposé des deux hommes pour jouer sur tous les registres, cela sans jamais tomber dans la démonstration. Il suffit de voir avec quelle retenue l’acteur interprète Charlie, dans l’attente perpétuelle du déclic, des mots justes qu’il pourrait poser sur une page blanche ou prononcer à une femme. C’est dans ces échecs répétés et ce dégoût de lui-même que Nicolas Cage excelle.
À travers ce rôle, il porte la haute conception de l’écriture que défend Charlie Kaufman, activité indissociable du rapport qu’un scénariste entretien avec la vie. L’adaptation à laquelle renvoie le titre n’est donc pas tant l’acte de porter une œuvre à l’écran que le processus à travers lequel l’Homme s’adapte à son milieu (au sens darwinien du terme) et trouve dans le rapport à ses semblables l’inspiration nécessaire à l’écriture de son script. Au final, rien d’étonnant à ce que Donald l’extraverti écrive un thriller psychologique bourré de clichés là où Charlie s’attèle à imaginer le premier film jamais écrit sur les fleurs. Tel est son grand défi, écrire un scénario respectant le travail de la journaliste, son amour des fleurs, quelque choses de simple loin des sujets vendeurs qu’il honnit : le sexe, la drogue, l’action à tout crin.
Pourtant, le travail de Charlie débouche sur une impasse. Reconnaissant le manque d’intérêt total de son projet, il décide de suivre une autre direction, et plutôt que d’adapter l’histoire de la rencontre entre Susan et Laroche, s’insère dans son propre scénario pour finalement écrire sur lui, luttant pour adapter ce fichu bouquin. En panne d’inspiration, Charlie demande l’aide de son frère et se décide à suivre le séminaire d’écriture de Robert McKee dont Donald ne cesse de lui vanter les mérites. Ce choix fait basculer la dernière partie du film, qui donne à voir l’adaptation romancée par le scénario en cours d’écriture, Spike Jonze brouillant les pistes et nous laissant seul face aux images.
Fiction et réel se confondent, et ce d’autant plus qu’on en vient à se demander si tout ce que nous avons vu n’était pas, déjà, totalement fictif, sorti de l’esprit de Kaufman (Cage) et de sa première mouture du scénario. Pour exemple, alors que la première partie de Adaptation donnait la part belle aux voix off, celles-ci disparaissent totalement du film dès lors que le personnage de Charlie Kaufman écoute Robert McKee critiquer avec véhémence les dialogues intérieurs. La volonté n’est donc pas seulement de jouer avec le réel et la fiction, mais de les faire communiquer, d’en interroger les fondements pour remettre en cause tout ce que le spectateur pensait avoir pris pour acquis. Charlie ayant accepté de « vendre son âme », la dernière partie prend le contrepied de tous les principes exposés au préalable : Laroche extrait de la drogue des orchidées, Susan a une liaison avec lui et les deux frères sont en danger de mort après avoir découvert tout cela. Switch débile, drogue, sexe, course-poursuite, coups de feu, deus ex machina, tous les pires lieux communs sont convoqués.
Les deux frères écrivent ensemble et on reconnaît le style de Donald dans cette histoire délirante, ce qui lui vaudra d’être crédité au script de Adaptation en compagnie de Charlie Kaufman, devenant de fait le premier personnage de fiction a remporter l’Oscar du meilleur scénario. Le résultat est drôle, original, mais présente des limites assez évidentes. S’il donne à voir un archétype d’adaptation ratée dénaturant l’œuvre originale au détriment des clichés du film d’action, Adaptation prend, par conséquent, les traits de ce type de film. L’expérience est étonnante, en cela qu’elle est pensée comme telle, comme le sabotage en règle d’un film. Au final, Adaptation laisse perplexe tant il apparaît emprunt d’un profond paradoxe, ne se montrant original que dans son processus de conception, dans la façon dont il est pensé, se souciant finalement peu des possibilités offertes par le cinéma de donner vie à ces idées. Cette primauté de l’idée de cinéma sur sa mise en pratique – du scénariste sur le metteur en scène – donne à voir une œuvre bancale et maligne, à laquelle on serait tenté de ne reprocher aucun des écueils : comprenez, « c’est fait exprès ».
Leni Riefensthal (1902-2003), opportuniste sans scrupule, a été une documentariste douée et un « compagnon de route » du nazisme, sans jamais le regretter jusqu’à la fin de sa très longue vie.
Par la satire sociale, cette comédie de moeurs tourne en dérision les travers de l’institution maritale. Entre Cendrillon et Le Roi Lear, la pochade étrille la misogynie patriarcale à travers la figure tutélaire de butor histrionique joué avec force cabotinage par Charles Laughton. Falstaffien en coffret dvd blue-ray.