À moi seule

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Librement inspiré de l´affaire Natascha Kampusch, le film de Frédéric Videau n´est pas une enquête, mais une réflexion bien menée et bien interprétée sur la séquestration.

En s’inspirant librement de l’affaire Natascha Kampusch, enlevée par Wolfgang Priklopil et séquestrée du 2 mars 1998 au 23 août 2006, jour où elle s’est échappée, Frédéric Videau n’a pas l’intention de nous livrer un film témoignage ou une enquête. Son propos est clair : c’est une pure fiction. Et, comme pour ôter en plus toute tentative de suspense ou de film de genre, il s’applique à commencer par la fin et par nous montrer l’issue de la séquestration. Montage quelque peu en flashback qui sont comme les souvenirs de Gaëlle, mais par moments seulement, le film commence par la découverte d’un homme sur son lieu de travail, blessé à l’œil. On ne comprendra que vers la fin l’origine de cette blessure.

Lorsque l’un de ses films n’arrive pas à se monter et que sa productrice lui demande de se pencher sur cette affaire sordide, Frédéric Videau est tenté justement par la force et la lucidité de Natascha Kampusch qu’il a vue dans une interview et dont il a dû lire le livre, 3096 jours, dans lequel elle raconte cette épreuve. Ce qui l’étonne, c’est aussi le sourire de cette jeune femme qui sort de huit de séquestration. Il part alors à la recherche de l’indicible, de l’immontrable : comment sortir de cette épreuve, comment rester vivante quand on a connu l’horreur de la privation de liberté et l’humiliation de la séquestration ?

Servi par la grâce et le visage énigmatique, voire quasiment préraphaélite, d’Agathe Bonitzer et le talent brutal de Reda Kateb dans le rôle du kidnappeur, le film pourrait n’être qu’une méditation intéressante sur le syndrome de Stockholm et, pourtant, il n’en est rien. S’il nous montre de manière intense des moments de vie à deux, ceux de ce couple étrange que les deux protagonistes forment nolens volens, ce n’est pas non plus pour porter un jugement moral ou faire pleurer dans les chaumières.

 

Ce qui fait la force de ce film intense, c’est en fait l’absence de point de vue. Parce qu’il ne la viole pas, parce qu’il l’aime presque comme un père pourrait aimer de façon bien sûr quelque peu névrotique sa fille, le personnage masculin, Vincent Maillard, n’est pas dépeint comme un monstre sanguinaire ou un détraqué sexuel. Dans une scène particulièrement intimiste, dans l’huis-clos de la voiture, lorsque Gaëlle Faroult lui demande de lui faire l’amour, il refuse de toutes ses forces. Il faut dire qu’il l’a enlevée et séquestrée depuis toute petite. On s’interroge longuement sur ce qui peut amener un homme à une telle extrémité car ce n’est ni par amour, ni par sadisme. Comme pour recréer de l’intime, avec la superposition dans la maison de la zone de vie commune, avec cuisine et commodités, et le sous-sol barricadé, dans laquelle elle est enfermée pour la nuit ou, par exemple dans cette scène surréaliste où Vincent invite un collègue de travail à dîner, pour ne pas qu’elle dérange, bâillonnée et ligotée sur son lit, un casque diffusant de la musique cependant sur les oreilles.

Frédéric Videau rapporte qu’un spectateur lui aurait dit : « C’est un film dans lequel tout le monde a un point de vue moral sur ce qui arrive à Gaëlle, sauf elle. » Et c’est vrai, aussi surprenant que cela paraisse, comme si cette séquestration lui avait donné la force de l’oubli, ou qui sait du pardon. C’est très sensible au moment des retrouvailles avec sa mère ou lors de son placement en hôpital psychiatrique, autre lieu d’enfermement et dont elle finira par s’échapper aussi. Le film se termine d’ailleurs sans qu’on sache très bien quel sera l’avenir de Gaëlle. Pour elle, on a comme l’impression que ce serait presque mieux lorsqu’elle était « dedans ». « Elle admet, déclare le réalisateur, que sa liberté, non seulement elle ne sait pas quoi en faire, mais elle ne l’intéresse pas. Gaëlle devra donc accepter cette liberté nouvellement acquise, accepter surtout d’en faire quelque chose, de la vivre, à ses conditions à elle. C’est le sens de l’ultime séquence du film. »
 

Titre original : A moi seule

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Durée : 91 mn


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