Réalisé en Espagne dans la vallée de Tabernas, Whity, oeuvre méconnue de Fassbinder, est la première incursion du maître dans le cinéma de genre. Western atypique nous racontant les conditions de vie d´un domestique métis dans l´Amérique de l´après-guerre de Sécession, la théâtralisation très << Bréchtienne >> du long métrage lui donne un parfum d´étrangeté et de langueur malsaine. Tragédie annoncée dès la scène du dîner chez les Nicholson (plan s´inspirant volontairement du tableau de Léonard de Vinci, << La Cène >>), Whity explore avec plus ou moins d´habileté la transposition de thématiques dans un cadre qui s´extraie du néoréalisme classique des films d´après-guerre (en opposition à la culture fasciste, ce mouvement fut surtout à l´origine d´un renouveau du cinéma italien).
En effet, si les thèmes chers au cinéaste se retrouvent une fois de plus de façon très visible (homosexualité masculine, domination, émancipation par la révolte, rapport de classe…), nous percevons avec moins d´acuité que d´ordinaire, la démarche d´un Fassbinder dans la construction de son film. Est-ce dû au ton très lent et maniéré du métrage ? De l´impression étrange d´assister à un non western ? Ou bien de ne pas trouver ce lien essentiel entre une forme, alignement de lieux et d´événements propres au genre investi, et un fond, qui, rendant ainsi Fassbinder diaboliquement intéressant, n´est qu´une question d´écriture.
Film mixte qui rend hommage aux grands noms du western (Raoul Walsh et son Bang of Angels, John Ford et son cinéma de l´Amérique des simples gens, Sergio Leone dans l´utilisation de critères techniques qui fixèrent une fois pour toute, l´art de la mise en scène du western spaghetti), Whity reste très << fassbindérien >> dans la résolution implacable de l´intrigue. Malaxant le temps comme une souffrance muette qui s´étale indéfiniment, Fassbinder utilise celui-ci à l´extrême (utilisation du plan séquence), pour instaurer un rythme d´une lenteur proche de la contemplation. Ainsi le spectateur regarde, incrédule, l´inanité de cette famille qui, comme un reflet sordide d´une société rongée par la dégénérescence, est vouée à l´extinction.
Si nous supposons que Whity en sera l´instigateur, le réalisateur prend un malin plaisir à développer jusqu´au dénouement final les travers de cette famille bourgeoise, dominé par un pater violent et castrateur, une belle-mère nymphomane et ambitieuse, un fils gay et un autre attardé. Aucune rédemption n´est alors possible, ce qui rend envisageable et attendu l´acte punitif orchestré par Whity. Les membres de la famille sont tués (dans une scène de << gunfight >> propre aux canons du western) et l´homme exploité, enfin libre.
Acte cinématographique contre l´injustice et la domination inacceptable des hommes sur d´autres hommes, Whity se veut un film expiatoire vis-à-vis d´un système qui ne cesse de se reproduire depuis des siècles. Toujours sans concession avec ses personnages, Fassbinder éclaire pourtant le film par la présence d´Hanna, chanteuse et prostituée du saloon, qui donne au film une espérance sincère, mais peu crédible. En effet, Whity ne peut fuir (c´est ce que lui demande Hanna), ni supporter sa condition. Il sera condamné à la révolte.