Une Valse dans les allées

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Peinture d’un petit monde maltraité et courageux.

Tiré d’une nouvelle, In the Aisles, de Clemens Meyer, qui est aussi coscénariste du film, ce quatrième long métrage de Thomas Struber a reçu le Prix œcuménique et le Prix de la Guilde du film au dernier festival de Berlin, où il était présenté en compétition officielle. Sur un sujet pas particulièrement palpitant, tel que la vie dans les allées d’un supermarché allemand, Thomas Stuber est parvenu à donner vie à un film à la fois tendre et mélancolique, plein de vie, de tristesse et d’espoir. Magnifiquement interprété d’abord par les deux protagonistes principaux, Franz Rogowski et Sandra Hüller (remarquée dans Toni Erdmann de Maren Ade en 2016), mais aussi Peter Kurth qui avait déjà joué en 2015 dans le premier long métrage, Herbert, de Thomas Stuber et avait remporté le Prix du film allemand pour ce rôle. Et tous les personnages secondaires qui parviennent à donner plus de crédibilité encore à ces allées de supermarché, petit monde maltraité et pourtant courageux, sorte de symbole d’une classe ouvrière que le libéralisme tente de discréditer de plus en plus, en Allemagne comme ailleurs.

 

 

Des références cinématographiques maitrisées

Mais malgré ses allures de film social, Une valse dans les allées est un film d’amour, presque choral qui laisse à penser que le romantisme peut éclore partout, même dans les endroits les plus prosaïques. Pour une fois d’ailleurs, le titre français parvient à donner plus de charisme à l’œuvre par l’adjonction du terme Valse qui rappelle à notre imaginaire Vienne et les fastes de Strauss, auquel le plan d’ouverture rend ouvertement hommage. Bien sûr, ici cette valse n’a pas lieu dans les allées du célèbre Prater de Vienne, mais sert à accompagner la danse incessante des engins élévateurs aux allures fantastiques presque dignes d’un film de science-fiction, d’où sans doute la référence à Stanley Kubrick, mais aussi à Wes Anderson, Roy Andersson et Aki Kaurismäki dont l’influence est revendiquée par Thomas Stuber lui-même.

Outre ces références musicales et cinématographiques, le film est servi par une superbe photo de Peter Matjasko, et le montage de Kaya Inan, mais bien sûr par la magnifique prestation de Christian, interprété par Franz Rogowski, venu du théâtre des Kammerspiele de Munich et qui apporte à son personnage, lunaire, timide et peu loquace, une dimension étrange et particulièrement romantique.

 

 

C’est l’histoire d’un amour

L’histoire est simple : Christian, malgré ses tatouages et un passé qu’on devine peu à peu malheureux, est engagé dans un supermarché. Il tombe tout de suite amoureux de Marion, déjà (mal) mariée de son côté, et devient très proche de l’homme maladroit qui l’a formé à ce métier ingrat, Bruno. De cette mince intrigue, dont on ne dira pas plus, le réalisateur est parvenu à un état de grâce peu commun dans le cinéma actuel et qu’on souhaiterait au cinéma français qui s’enfonce de plus en plus dans la facilité et la vulgarité. Ici, tout est souligné par petites touches impressionnistes qui en disent long sur l’état actuel de notre société qui n’a, semble-t-il, jamais été aussi cruelle sous des dehors policés. « Lorsque j’ai lu pour la première fois le recueil de nouvelles de Clemens Meyer, déclare Thomas Stuber dans le dossier de presse du film, […] l’idée de cet homme solitaire qui se fond dans les allées d’un supermarché ne me quittait pas. Le bruit de l’autoroute près de l’aire de chargement, la pause cigarette, la machine à café, le gérant de nuit qui serre la main à tout le monde à la fin du service… L’histoire de Clemens Meyer est profonde et tragique, mais il y a beaucoup de non-dits. Le lecteur, et désormais le spectateur, doivent rassembler tous les indices. Ce film, c’est l’amour et la mort au supermarché… »

Titre original : In den Gängen

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Durée : 117 mn


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