Séries Mania, le bilan

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Bilan du festival Séries Mania deuxième version, organisé par le Forum des images et retour sur l’impact des séries dans le paysage télévisuel mondial.

Success Séries

Véritable genre télévisuel, la série est devenue le reflet de problèmes sociétaux, d’aspects culturels et de questionnement sur notre environnement. Avec Séries Mania, on a pu constater une hausse de fréquentation d’une année sur l’autre de la part non seulement de « sériephiles », mais aussi d’un public curieux de voir sur grand écran des productions télévisuelles à la renommée internationale.

Les séries américaines, dominantes sur ce marché, sont aujourd’hui concurrencées par des séries du monde entier, s’inspirant de l’Histoire, d’événements politiques, climatiques, ou plus légèrement, de questionnements culturels : l’adolescence, l’entrée dans la vie adulte… Une série comme Treme, immersion dans une Nouvelle Orléans dévastée par l’ouragan Katrina, retrace le quotidien d’Américains après la catastrophe. Très réaliste, Treme tend à se rapprocher du public, créant un lien nouveau : un lien de temps (la série compte 10 épisodes de 60 minutes) et un certain engouement à suivre tour à tour les différents personnages. Dans un autre esprit, la multiplication de séries comme Glee, Greek, Gossip Girl ou encore Pretty Little Liars fédère un public d’adolescents ou de jeunes adultes, dont le questionnement social se reflète à travers les jeunes héros. Boutonneux aux premières expériences amoureuses, groupe de filles populaires, sans oublier profs et vie de campus, etc. tels sont les aspects récurrents de ces séries sélectionnées parmi tant d’autres… La machine américaine côté séries étant bien lancée – notamment dès Dallas, succès planétaire, ainsi que l’incontournable Friends – elle inspire, tout comme en cinéma, d’autres pays à innover et se lancer dans ce domaine, avec un succès monstre. On pense aux telenovelas en Amérique du Sud, mais aussi aux excellentes séries britanniques, The Office, Misfits, K-9, Luther, Skins
 

Ce rapport à la série, devant son ordinateur, chez soi, s’oppose au déplacement en salle de cinéma. Lors de Séries Mania, le fait d’être devant un grand écran lors d’une nocturne-série, par exemple lors de la nuit The Walking Dead organisée par le Forum des images, donne à la série une dimension particulière, presque cinématographique. Quand on sait que pour produire une série, une somme considérable d’argent est déboursée, on prend conscience devant le grand écran de la qualité des scénarios, des mises en scène et de la technique minutieuse dont sont le fruit ces séries, destinées à un public international.

La série – qu’elle soit américaine, anglaise, française, etc. – réinvente ce rapport à l’image, au scénario, aux histoires racontées, inspirées par le réel, l’actualité. Elle peut, dans certains cas, fédérer un public en créant du lien social, rencontrer son public dans un pays où, jusqu’alors, rien ne laissait présager une volonté de laisser une place aux séries. Par exemple, Arab Labor, programme en langue arabe avec une touche d’humour, connaît un succès fulgurant en Israël. Les séries, qui se développent mondialement, non seulement s’imposent progressivement dans le paysage audiovisuel mais surtout, connaissent une véritable success story ces dernières années. Et le cinéma dans tout ça?

Et le cinéma…

On sort de Séries Mania avec des images et des souvenirs pleins la tête, des sommets d’action de la série coréenne Iris à la débauche d’effets et de moyens typiquement US de Broadwalk Empire jusqu’aux réflexions philosophiques et esthétiques autour de Breaking Bad et Spartacus entre autres. Qu’il s’agisse des conférences, des critiques, des références avouées ou non des créateurs ou même des discussions post-projection, la question du rapport entre cinéma et séries télévisées a traversé cette semaine de découvertes.
La première observation pour quiconque tombe aujourd’hui dans ce qu’on appelle le phénomène ou l’âge d’or des séries est que ça n’a pas été la révolution artistique et culturelle annoncée. Chercher à savoir si « les séries c’est tellement mieux que le cinéma » ou si « les séries c’est du cinoche à échelle humaine avec des personnages plus développés » semble vraiment un débat d’arrière-garde, surtout aujourd’hui où les spectateurs et critiques ont un recul suffisant depuis l’explosion du phénomène au début des années 2000. On peut d’ailleurs remercier programmateurs et intervenants de s’être abstenus du discours tant entendu sur la soi-disant mort du cinéma, surtout outre-Atlantique.

Certes, les fictions tv n’ont jamais été aussi travaillées, aussi abouties sur le plan scénaristique et visuel : il suffit de regarder Mad Men, le pilote de Broadwalk Empire ou The Walking Dead pour le comprendre. Mais la différence fondamentale entre cinéma et séries est double. Sociologique d’une part : on ne regarde pas un épisode de Treme comme on regarde le dernier Christopher Nolan, ni Spartacus comme le dernier Zack Snyder. Cela peut sembler évident mais l’addiction aux séries se concrétise grâce à des pirouettes narratives (les fameux cliffhangers en fin d’épisode et de saison) et par le mode de programmation. Mais l’intérêt des fans réside aussi dans la répétition d’un schéma dramatique auquel nous sommes inconsciemment attachés comme l’explique Umberto Eco dans De Superman au surhomme, d’où l’extrême supériorité technique des auteurs américains, habitués depuis Hollywood au travail rationnalisé mais créatif et inventif.
D’autre part, la grande innovation des séries ces dernières années – et partant, sa part de marché prise sur le ciné – a été de récupérer les grands thèmes et genres oubliés ou un peu délaissés par le cinéma. L’exemple le plus parlant est 24 Heures : qui est Jack Bauer sinon le fils caché de Rambo, John MacLane, de Scott McQoy, c’est-à-dire tous les héros musclés et virils morts avec les années 80 et l’avènement de l’action futuriste? De même Rome et aujourd’hui Spartacus sont des réponses diamétralement opposées à la vague des péplums qui sévit à Hollywood (et dont Gladiator est le seul bon film) et qui assiste à sa décadence avec 300. On pourrait reprendre la même méthode avec Mad Men et Treme, voire Xanadu : grandeur et déchéance de la magnifique société de consommation américaine (ou française pour la dernière).
 

D’un point de vue esthétique, les séries restent très proches de leur grand frère le cinéma même si aujourd’hui on peut reconnaître des traces ça et là de maturité : les scènes et la psychologie des personnages sont plus fouillées et on laisse le temps – à la manière de l’âge d’or de Hollywood – à l’intrigue générale de se développer. La preuve avec ce sentiment étrange que l’on ressent à la vue du premier épisode d’une série qui semble avoir tout et rien dit en même temps ; les héros sont là mais quelle sera l’intrigue principale ? Aujourd’hui le phénomène est largement planétaire et universel, ce sur quoi le Forum des images a eu raison d’insister en nous montrant une diversité de genres, de formats et de thèmes du plus trivial au plus sulfureux et polémique. En observant comment la série télévisée a modifié nos manières de « consommer » des fictions et des mythes, on ne peut pas s’empêcher de la relier à un autre phénomène  basé sur l’interactivité et l’emprunt au cinéma : le jeu vidéo. Peut-être une prochaine piste pour un festival…

 

Un événement en mutation

Mais à l’heure du bilan, qu’est-ce qui retient principalement l’attention chez les observateurs de tout bord? Tout d’abord une fréquentation en hausse, comme nous l’avons déjà évoqué, par rapport à la première édition du festival, mais aussi une augmentation du nombre d’invités: des scénaristes aux acteurs, des réalisateurs accompagnés de leurs producteurs, ainsi que plusieurs dirigeants des grandes chaînes diffuseuses de séries, mais aussi des universitaires, journalistes et professionnels du petit écran.

Tout ce joli monde est certes spécialisé dans la télévision, mais c’est au demeurant une réunion de talents et de travailleurs qui évoque le tout venant de ceux qui fréquentent les festivals de cinéma. En somme Séries Mania devient un espace de rencontres professionnelles (on n’avait d’ailleurs pas remarqué l’an passé l’existence d’un espace pro !), peut-être bientôt aussi légitime et décisif que les salles de réunions des chaînes ou le réseau informel des scénaristes français. Ce que ce nouveau festival est peut-être en train de légitimer en le mettant à jour, en lumière même, au niveau national et – pourquoi pas à long terme – international, c’est un milieu professionnel en plein dynamisme et en pleine confiance. On ne parle plus de sitcoms ou de téléfilms pour les nouvelles productions du service public, mais bien de séries, qui sont même désormais appelées des « créations ».

Par ailleurs, les séries françaises présentées, le furent quasi toutes en exclusivité. Leurs acteurs furent récompensés pour leur interprétation, au même titre que ceux du 7ème art. On assiste aussi à un certain basculement dans la reconnaissance du public : ainsi on applaudit peut-être plus les scénaristes que les réalisateurs au festival Séries Mania, car on sait qu’un projet de série tient tout d’abord sur sa force de récit, sa capacité à se déployer et à exister sur la durée, et que ce travail de développement incombe beaucoup au(x) scénariste(s).

Ainsi le festival de séries commence à exister en liberté, émancipé des rencontres cinématographiques (même s’il lui emprunte évidemment son concept même), développant les spécificités dues à son objet. Durée des projections, (parfois une nuit entière pour une saison), choix de diffusions stratégiques (comment savoir s’il faut diffuser la saison 2 à ce moment-là en France, tenir compte de l’arrivée sur les chaînes, du téléchargement, de l’engouement public…), et pourquoi pas bientôt rapprochement thématiques, sont des questions inhérentes au seul objet série. Ainsi, sans chichis mais avec une belle confiance en soi, le festival Séries Mania a gagné en assurance et en visibilité, concrétisant des partenariats et s’assurant aussi, et ce n’est pas négligeable, une réelle rencontre avec le public. On ne peut désormais qu’attendre la prochaine édition avec enthousiasme !

Du lundi 11 avril au dimanche 17 avril 2011, la rédaction d’Il était une fois le cinéma est présente tout au long de l’événement.

Retrouvez tout le programme de Séries Mania sur le site du Forum des images.

Retrouvez nos précédents articles sur la deuxième édition de Séries Mania:
J+5 Séries Mania: Clôture
J+4 Séries Mania
J+3 Séries Mania
J+2 Séries Mania
J+1 Séries Mania: Un état du monde et… des séries?
Festival Séries Mania


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