Retour sur la classe ouvrière
Spécialisé dans le film documentaire, court et long, Jean-Gabriel Périot développe un style bien particulier en réalisant surtout des films de montage qui mettent en scène la violence et l’histoire à partir d’archives filmiques et photographiques. Certains de ses films ont marqué les esprits comme Eût-elle été criminelle… en 2006, un court-métrage sur les femmes tondues à la Libération, ou Une jeunesse allemande en 2015, long-métrage construit à partir d’images d’archives pour monter l’histoire de la première génération de la Fraction Armée Rouge, ou encore plus récemment en 2019, Nos défaites, long métrage documentaire interrogeant, à partir de remakes d’extraits de films post-68 joués par des lycéens, leurs rapports avec la politique. Avec son nouveau long-métrage, et en utilisant certains fragments du texte de Didier Eribon qui donne son titre au film, le réalisateur nous propose un nouveau film construit seulement avec des images d’archives sur l’histoire de la classe ouvrière de la fin de la Deuxième Guerre mondiale à la fin des Trente Glorieuses, les années de jeunesse de l’auteur du texte.
Une voix-off, très off
Jean-Gabriel Périot a lu le livre à sa sortie en 2009 mais c’est dix ans plus tard que la productrice Marie-Ange Luciani lui propose de l’adapter au cinéma. Un peu étonné car il n’accepte pas facilement les commandes, il relit toutefois le texte et s’y retrouve en raison de ses origines modestes, même s’il est loin d’avoir grandi dans la même culture populaire que Didier Eribon. C’est pour pallier un peu cette sorte de handicap à ses yeux qu’il choisit Adèle Haenel pour lire le texte en voix-off, en raison justement, explique-t-il, de ses origines sociales. « Quelque chose dans sa voix m’apparaît comme populaire et trahit ses origines sociales, déclare-t-il dans le dossier de presse du film. Elle incarne également une nouvelle histoire de l’engagement et des luttes, celle de sa génération. Tout faisait sens. » Sauf que les révoltes actuelles n’ont rien à voir avec les luttes de classe et que sa présence orale est loin d’être convaincante. Elle ânonne le texte pourtant très évocateur plutôt qu’elle ne l’invoque. On sent une certaine lassitude dans sa voix, peut-être voulue, en tout cas peu prégnante qui oblige le spectateur à redoubler d’attention pour comprendre ce qui est dit et à se focaliser finalement sur les images que le réalisateur a bien sélectionnées et qui donnent beaucoup de sens à toutes les révoltes populaires qui ont été trahies, étouffées, voire anéanties comme par exemple les Gilets jaunes sur lesquels le film se termine.
La lutte des classes, késako ?
La bourgeoisie en place ne lâchera jamais le morceau et, hélas, un tel film n’y changera rien, ce qui expliquerait peut-être le ton désabusé de la narratrice. Le film est un assemblage d’images qui rendent le spectateur, pour peu qu’il soit proche du prolétariat, très triste, voire désespéré puisqu’on y redécouvre toutes nos luttes inutiles et bafouées comme dans un miroir de cauchemar. Depuis la grand-mère maternelle de l’auteur tondue à la Libération jusqu’aux corps fatigués et abîmés par la violence du capitalisme, c’est un lent cortège de désespérance. Et c’est ici que, malheureusement, le film perd tout son sens car il nous confronte encore une fois à notre petitesse, à nos espoirs avilis, à l’anéantissement de tout rêve que le règne de Macron symbolise à la perfection. Il ne nous reste plus que les yeux pour pleurer, surtout en voyant tous ces corps exploités et exhibés, tel celui d’une vieille dame qui raconte qu’elle portait des sacs de pommes de terre de 25 kg sans jamais prendre de vacances. On touche ici les limites du cinéma qui constate mais ne change rien à la vie, hélas, pour paraphraser un peu Woody Allen parlant de l’art. « Les corps des travailleuses et des travailleurs, ces corps marqués, me bouleversent parce que je les connais, déclare le réalisateur dans le dossier de presse du film, ils font partie de mon quotidien, et parce qu’à travers eux j’entraperçois une vie précise, je la sens. » Et pendant ce temps, le festival de Cannes se dote d’une nouvelle directrice liée de très près à la Warner, à Pigasse et au groupe Kering. Tout est dit, elle est pas belle la vie ?