Poussière dans le vent

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Ressortie sur les écrans d’une rareté de Hou Hsiao-Hsien.

Une saison propice aux ressorties ciné et un réalisateur absent des écrans depuis quelques années déjà (Le Voyage du ballon rouge date tout de même de 2008) et voilà qu’arrive une belle surprise : une rareté de Hou Hsiao-Hsien. En 1986, Poussière dans le vent est déjà son huitième film et vient clore sa série dite autobiographique qui le fit connaître avec Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1985). Plus sobre et plus simple que ses grandes réussites des années 2000, Poussière dans le vent rappelle à quel point HHH est le cinéaste de l’observation du passage – douloureux – à l’âge adulte.

Taiwan, 1965 : deux amis d’enfance quittent leurs familles ouvrières et leur montagne pour un nouvel avenir à Taipei, la capitale taïwanaise. A-Yun trouve un emploi de couturière, tandis qu’A-Yuan semble plus instable : il poursuit ses études, mais change brutalement d’emploi jusqu’à ce qu’il doive partir faire son service militaire. Ce qu’il restait de leurs rêves d’enfants s’évanouira avec son départ. L’histoire est simple, classique, tout sauf spectaculaire, sans doute vécue par bon nombre de jeunes Taïwanais et partout dans le monde. De vagues échos biographiques se mêlent en filigrane à une description impressionniste du Taiwan des années 60. Les problèmes des deux jeunes rencontrent alors une situation économique difficile. HHH n’aborde pas la question de front, mais sème des indices : le travail précaire pour un salaire de misère, le coût élevé de la vie… Ce sera donc médicaments ou médecin pour les personnages, mais pas les deux ; cinéma oui, mais le film s’interrompt en cours de projection car l’électricité n’a pas été payée…

Construit en ellipses successives, Poussière dans le vent montre déjà quelques motifs clés du cinéma de HHH. Le film s’ouvre ainsi par un plan inoubliable : l’écran est noir et un point lumineux grossissant apparaît au centre de l’image. La caméra est embarquée à bord d’un train qui traverse un tunnel. Comme souvent – Café Lumière (2003) en est le plus bel exemple – de nombreuses scènes du film se déroulent sur rails à l’intérieur des wagons ou entendus depuis l’extérieur, le découpage géographique rejoignant ainsi une géographie plus intime. Mais c’est surtout le cinéma qui se retrouve par deux fois exposé au premier plan. HHH filme un écran. La grande toile blanche du ciné-club amateur apparaît au plus près de l’image : l’écran du film s’empare alors de l’écran de la salle, l’occupe complètement et le redouble. Le spectacle fascine le cinéaste autant qu’il occupe les personnages du film. Comme un clin d’œil, le grand-père d’A-Yuan, garant de la mémoire et des traditions, se trouve être Li tian-lu, marionnettiste taïwanais que HHH met en scène en 1993 dans Le Maître de marionnettes.

 

Entre histoire personnelle et collective, mémoire et modernité, Poussière dans le vent marque aussi par l’ouverture progressive du film. D’abord très centré sur ses personnages, avec l’isolement d’A-Yuan à l’armée (séparé de sa famille, de ses amis, de celle qu’il aime), l’espace semble s’étendre. Le réalisateur multiplie alors les plans de plus en plus larges sur le paysage taïwanais passant d’une perspective intime à une vocation plus globale. Paradoxalement, la solitude d’A-Yuan à l’armée marque son passage à l’âge adulte et aussi son intégration sociale. L’autobiographique s’ouvre alors à l’histoire de tout un pays. Poussière dans le vent peut céder la place dans la filmographie de HHH à une série de films sur l’histoire de Taïwan.
 

Titre original : Lien Lien Fong Chen

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Durée : 109 mn


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