On compte, en plus, beaucoup trop d’enjeux : finances, carrière, image de marque, etc. Beaucoup à gagner, certes, mais aussi à perdre… Des témoignages, on apprend par exemple que les photographes peuvent être des obsédés sexuels, qu’ils profitent de leur position pour faire du chantage ou récupérer à la volée des clichés de minettes dévêtues. Les camarades interviewées n’allaient toutefois pas oser balancer sans retenu les noms des photographes libidineux qui ont voulu abuser d’elles. Cela dit, le harcèlement sexuel existe dans tous les milieux professionnels. Considérer les femmes comme un gibier est un mal généralisé. Rien de neuf, jusque là : le maquis reste à prendre un peu partout. Plus en amont, on sera davantage interpellé par l’âge de recrutement, toujours plus bas, de ces jeunes filles.
Quand les magazines s’épanchent sur le cas de l’anorexie, ils oublient souvent de préciser qu’on ne parle pas de femmes trop maigres, mais de gamines de 13 ans à croissance rapide. Encore plus frappant : entendre Sara et ses amies parler lifting à 23 ans… A peine sorties de l’adolescence, averties mais toujours naïves, ces filles aux discussions de femmes mûres vivent en décalage, dans une carrière trop grande pour elles. Le glamour satiné camouffle une performante industrie de viande fraîche. On va chercher ces enfants à la sortie de l’école ou de leurs ghettos, elles arrêtent les études. Dans certains cas, ayant déjà tout quitté dans leur pays natal, elles n’ont rien à perdre. Elles sont ensuite redevables de leurs agences qui leur payent tout, un peu comme une pute doit fidélité à son maquereau. L’attitude de certains photographes coule alors de source, dans un engrenage si bien huilé, à la limite de l’illégalité. A 14 ans, une mineure n’a aucune prise sur ce processus : elle ne peut ni le comprendre, ni s’en défendre.
Avec pertinence, Sara Ziff défend l’utilité des études qu’elle décide justement de reprendre, démontrant par les actes qu’il y a une longue vie à prévoir après le mannequinat, dont l’âge moyen de la retraite en ferait pâlir plus d’un en ces périodes de réformes. On ne s’y attendait pas du tout. C’est toute l’originalité de ce documentaire : à l’heure où les études sont loin d’être fashion, et où on raisonne davantage en termes de « pas trop se fouler un neurone, pour gagner plus », on est surpris d’écouter Sara expliquer son complexe, vis-à-vis de ses anciennes amies et de sa famille… Alors qu’elle amasse un tel paquet de tunes, prêtant un corps qu’elle ne reconnaît même plus aux firmes les plus célèbres.
Inoffensif, trop peu agressif, mais pas futile. Picture Me vaut avant tout pour ces quelques perches lancées et images révélatrices de podiums : l’ironie d’entendre le rock explosif du groupe de riot girls Sleater-Kinney en bande son d’un défilé, ou encore la répétition militaire au pas cadencé derrière Karl Lagerfeld et ses armées de pantins. Une chose est sûre, l’industrie de la mode recycle tout à son avantage.