Peace to Us in Our Dreams

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Le cinéaste lituanien réaffirme son talent dans la mise en scène de son hypersensibilité silencieuse avec ce film épuré et très abouti.

C’est sur une brisure que s’ouvre le dernier film de Sharunas Bartas, par le retentissement violent d’un coup de fusil qui vient troubler la quiétude d’une forêt. C’est une brisure du même ordre qui ponctue le récital d’une jeune femme violoniste saisie d’un fou-rire nerveux à la fin de son morceau. D’emblée, après le décevant Indigène d’Eurasie (2010), l’œuvre annonce son retour à un registre discursif très mutique et phénoménologique. A l’instar de ses précédents films (Three days, 1991, Seven invisible men, 2005), le cinéaste lituanien opère en sismographe, laisse entendre peu de mots, montre plutôt les béances de l’existence. La communication entre les êtres du film, un père, sa compagne violoniste, et sa fille, dans leur maison de campagne, puis, parallèlement un couple de voisins et un jeune garçon errant sont autant d’individualités silencieuses, isolées, qui parfois se nourrissent, se mettent en contact, plus souvent s’entrechoquent, dans la recherche étouffante d’une forme de délivrance.

 

La nature forme ici le berceau de cette poétique du silence, de l’ensemble de ces solitudes. Dans Corridor (1994), l’apathie commune des habitants d’une Lituanie en déshérence venait se cogner contre un long et étroit couloir, autant lieu de vie que de réclusion. Tandis que l’environnement naturel de Peace to us in our dreams calfeutre délicatement les personnages. Quand la nature ne les adoucit pas, ce sont eux qui se font entendre avec la brutalité d’un coup de fusil, à l’image du petit garçon silencieux faisant feu sur un oiseau à quelques centimètres de lui dans Corridor. Sur la nature dans son dernier film, Sharunas Bartas a eu ces mots : “Je ne filme jamais un paysage pour lui-même, ce qui m’intéresse ce sont les connections entre les espaces et les gens. Cela donne de l’humanité aux paysages et de la sauvagerie aux humains, il y a un effet croisé. » L’observation d’un papillon posé sur une fenêtre sert de respiration à la violence de l’échange entre la violoniste, qui souhaite partager sa sensibilité à Beethoven, et la paysanne qui lui répond de façon brutale, crachant presque ses mots virulents à l’égard du compositeur. C’est dans un petit cabanon isolé qui sert de refuge que la fille du personnage interprété par Sharunas Bartas retrouve le jeune garçon errant. La nature sert l’effeuillage des âmes et donne son rythme au film, des plans d’ensemble limpides et succincts de points d’eau ou de forêts viennent alléger la pesanteur existentielle qui touche tous les personnages, leur proposer un équilibre fragile.

C’est par les visages et les micro-expressions que se lisent leurs affects, vidés de mots. Au père, Sharunas Bartas, sa compagne reproche de ne rien dire, de ne pas parler, dialoguer. Le cinéaste lituanien, beau visage marqué et vieilli, taillé à la serpe, aux regards et gestuelles qui laissent transparaître à la fois une hypersensibilité douloureuse et une impassibilité silencieuse, se fait le centre névralgique de cet univers au désespoir calme. Il accompagne, dans une tranquilité déchirée, les murmures du lieu où il vit. Seule une vraie discussion entre lui et sa fille (sa vraie fille, Ina Marija Bartaite), revenant sur la disparition réelle de la mère (l’actrice Katia Golubeva) mais aussi plus philosophique, autour de la distinction entre la vérité et l’imagination, advient vers la fin du film. Cet échange laisse voir un sourire sur le visage de Sharunas Bartas, auparavant écroué, comme pour marquer l’impossibilité de faire sans les mots à un moment donné, et leur redonner leur puissance salvatrice et presque primitive de liaison. La lumière naturelle, les paysages chatoyants d’été, de brun et de verts tranquilles, leurs sons, reparaissent plus doux encore. On aimerait rester sur ce contact humain et cette photographie sereine mais un bouleversement fait de nouveau retentir la brisure du début, comme une longue et profonde fissure sur un mur immaculé, que le cinéaste n’arrive définitivement pas à faire partir.

Titre original : Peace to Us in Our Dreams

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Durée : 107 mn


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