Nuages d’été (Iwashigumo)

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Un temps pour vivre, un temps pour mourir. Tel est l’adage élémentaire du cinéma selon Mikio Naruse, réalisateur japonais dont la filmographie prolifique (80 films de 1930 à 1969) enveloppa les pellicules du studio Toho de leur aura bienfaitrice. Dans Nuages d’été, Naruse renoue avec le Shomin Geki, genre cinématographique centré exclusivement autour du quotidien […]

Un temps pour vivre, un temps pour mourir. Tel est l’adage élémentaire du cinéma selon Mikio Naruse, réalisateur japonais dont la filmographie prolifique (80 films de 1930 à 1969) enveloppa les pellicules du studio Toho de leur aura bienfaitrice. Dans Nuages d’été, Naruse renoue avec le Shomin Geki, genre cinématographique centré exclusivement autour du quotidien des petites gens, de leurs valeurs familiales et sociales, sans pour autant sombrer dans un pathos des plus alarmants. Seule la simplicité du regard mêlée à celle du geste étaient de rigueur dans cette étude de la condition humaine. Naruse et son confrère Ozu devinrent les sismographes attitrés de cette époque, signant quelques œuvres sublimes (Le Repas de Naruse ou Voyage à Tokyo d’Ozu) tant leur style transcendait radicalement la narration et l’écriture visuelle.

Voir un film de Naruse, c’est se perdre dans les recoins embrumés de la société, état d’esprit incontournable d’une nouvelle raison de vivre aussi intense que celle d’une naissance ou d’une jouissance. Chez Naruse, les hommes sont des lâches ou des « loosers » et les femmes sont aussi belles que dans un roman de Dostoïevski. Très peu d’ambiguïté dans les rapports amoureux, la notion de clarté étant primordiale, Naruse, conscient de la dramaturgie excessive que la vie pouvait apporter dans un élan amoureux, s’obstine à dessiner des contours féminins incapables de prendre forme. Nuages d’été, parfaite retranscription de cette problématique, repose sur un chamboulement social orchestré par une figure féminine, veuve de guerre et prénommée Yaé. Des trois personnages féminins vus dans Le Repas et Nuages flottants, celui de Nuages d’été est le plus alerte, le plus emblématique d’une période de renouvellement. Avec Yaé, c’est toute une pensée qui se met en mouvement, celle de la liberté individuelle qui amène l’âme à tournoyer autour du bonheur.

Nuages d’été est une œuvre sur le changement de saisons. Une époque autrefois bénie par un Destin irrévocable, celui des grands propriétaires régnant sur des terrains fertiles et sur leurs familles respectives. Les descendances se ramassaient à la pelle et aucun d’entre eux ne songeait à quitter ce microcosme étouffant. Puis la Seconde Guerre Mondiale est apparue, dépaysant toute cette idéologie féodale qui ne faisait qu’alourdir les déplacements réguliers des nouvelles générations. Avec la réforme agraire de la fin des années 40, le Japon du se résilier à appliquer les théories américaines, énième symbole d’une colonisation subtile. Idée de départ enrichissante qui va entraîner Naruse à très vite déployer les ailes de son film en nous présentant dès la première séquence ses deux principaux personnages, Yaé et le journaliste chargé de rédiger un papier sur cette réforme, le versatile Okawa. L’instant est tendre, léger, hésitant, la caméra fixant leurs sourires discrets, le verbe doux de Yaé opposé à la rigueur gauche d’Okawa. Quelques minutes suffisent à Naruse pour installer deux caractères antinomiques qui donneront au film son aspect étrangement mélancolique.

Nuages d’été respire les jours de pluie. Quelques notes d’une complainte, celle d’une femme qui se prosterne toute sa vie aux pieds d’une société régie par des lois passéistes et qui dans un moment de grâce, répand une dignité exemplaire. Consciente qu’une nouvelle ère approche à grands pas, Yaé décide de prendre toute sa descendance par les bras afin de les tirer de leur léthargie profonde. Naruse, par petites touches discrètes, dépose ce vent de folie sur des images soignées en scope couleurs d’une beauté grandissante. Le film prend une orientation quasi mystique, l’instant de vie est très vite illustré par des scènes intimistes où le déroulement du jeu emprunte un virage affolant. Naruse, en pourfendeur de la stabilité, administre une sacrée paire de claques à des visages anciens trop aveuglés par leur égoïsme primaire. La scène où Yaé explique à son frère aîné que le monde s’est transformé et qu’il fallait en tenir compte est saisissante car ancrée dans un réalisme qui martèle les pensées archaïques.

Toute sa vie, Naruse tenta vainement de distiller du bonheur dans ses films, celui qu’il aimait ressentir hors des studios. Son œuvre est marquée de ces trop rares fulgurances où la quintessence d’une joie venait heurter nos peines de cœurs. Cela durait quelques secondes, le temps d’un battement de paupières. Nuages d’été est un beau clin d’œil.

Titre original : Iwashigumo

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Durée : 128 mn


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