Peter Mullan avait déjà frappé un grand coup avec The Magdalene sisters (Lion d’Or à Venise en 2002). Il recommence cette fois, avec de jeunes délinquants. La vie étant, certes ironique, mais bien faite, le film sort en parfait écho aux derniers embrasements anglais. Plus qu’une histoire de petites frappes, Peter Mullan propose une analyse sociologique à la pertinence incendiaire. « NEDS » pour Non Educated Delinquents, à ne surtout pas confondre avec « NERDS »… Gamin, Steve Jobs ne s’est probablement jamais baladé avec une grande lame dans son froc.
I fought the law…
« Les nains intellos, je les écrase. »
John avait tout pour réussir mais il a simplement raté sa naissance. C’est un McGill, fils d’alcoolique, et frère de racaille fichée par la police. Les tubes de Marc Bolan raisonnent à fond dans les rues crades et briques de Glasgow… seulement, cette fois, ce n’est plus Billy Elliot qui danse dessus. La success story modeste et bon esprit – « ensemble, tout est possible »* – comme seuls les Anglais savent les faire avaler, laisse place à la descente aux Enfers d’un pauvre gosse qui n’a tout simplement rien demandé : pas demandé d’être marqué au fer rouge par son milieu social, ni de se taper l’affiche à chaque bonne note. Quoi qu’il fasse, il est suspect, et quand il cartonne, ses profs lui donnent une telle image de la réussite intellectuelle qu’on n’a qu’une envie : vomir.
Dans ces conditions, le cerveau du jeune John va très vite imploser : « Vous voulez un NED, vous allez avoir un putain de NED !! ». Cette phrase qu’il semble nous hurler à nous, et à toute la Upper class en leur balançant une godasse explosive en travers de la gueule nous serre d’autant plus la gorge qu’on attendait le moment où il allait craquer… On le savait et on n’a rien pu faire pour l’en empêcher. Un basculement ultra court pour un effet maximum. On reconnaît là un Peter Mullan au top de sa forme, cru et synthétique, qui, ne reculant devant rien, s’est donné pour l’occasion le rôle le plus dégueulasse du film, celui de « Dieu » le père. Mullan n’a pas abandonné les charges contre la morale chrétienne, même si son hypocrisie n’est pas tant l’enjeu du film qu’une toile de fond insupportable. On n’a que ce qu’on mérite ?
« Marcus est in horto »
Non : la société n’a que ce qu’elle mérite. Peu importe qui elle broie pour ce prix-là. Mullan passe au niveau supérieur, enchâsse les niveaux de lecture, et prend le risque de mettre en sourdine le naturalisme qu’on lui connaît pour nimber tout le film d’un symbolisme politique archi codifié mais aisément déchiffrable. Les émules de feu la série Rome, produite par la BBC, pourront se réjouir. Si elle a probablement plu à quelques inconscients nostalgiques fascinés par le glamour sexy des toges et les intrigues branchées cul, d’autres, plus lucides, ont forcément retenu l’extrême violence d’une civilisation à la barbarie méticuleusement rendue, notamment dans son mépris pour les vies humaines. Au nom de quoi ? Des « idées ». Autrement dit, de la religion et du pouvoir imposés au peuple comme desseins inébranlables. Aujourd’hui le libéralisme a pris la place de l’Empire romain, mais a fait sien son adage : « du pain et des jeux ». Ce n’est sûrement pas Berlusconi qui démentirait. Les jeunes descendent dans la rue, mais ce n’est plus pour faire Mai 1968…
… and the law won **
Pourtant, l’ascenseur social, qui est en train de se reboucher chez nous, est officiellement et depuis longtemps diminué en Angleterre, où l’éducation est proportionnelle à la richesse. Rien n’échappe à la lucidité perçante de Mullan : le déterminisme n’existe pas. Plus ou moins consciemment, tout le monde fait le jeu de la hiérarchisation sociale et tout le monde est responsable. John n’était pas fier mais s’est senti puissant la toute première fois qu’il a eu le droit de vie ou de mort sur un semblable. Il suffisait de choisir : pouce en l’air ou en bas… Ce pouvoir est un leurre car à chaque échelon, un plus fort viendra qui prendra la place tant convoitée du bourreau. Peu à peu, John se transforme en « Gladiator » déboussolé, magnifié par certaines séquences volontairement poussives et dramatique, matérialisant la splendeur dérisoire de ce bouc émissaire, ce martyre piégé vendu comme un mythe. Ceux qui n’ont rien à perdre se bastonnent absurdement tandis que les autres, les fesses au chaud dans les gradins, transpirent leurs convictions démocratiques avec effroi et plaisir. La machine ainsi huilée marche toujours aussi bien. Seulement plus raffinée, elle cache beaucoup mieux ses rouages, derrière d’épaisses couches discursives de sentimentalisme.
Mullan refuse en bloc ce discours, sa caméra avide de justice et seul témoin de son humanisme radical appuie exactement où il faut au bon moment. Conscient de devoir éviter de tomber dans l’écueil de la violence gratuite et spectaculaire, il jouera du contrepoint musical pendant un fight routinier à coups blasés et consternants de Cheek to Cheek (« Heaven, I’m in Heaven… »), puis exposera une piètre et silencieuse tentative d’assassinat en plan éloigné dans un cimetière, sans oublier de passer un coup sous les néons d’une chambre d’hôpital, histoire de nous remettre les pendules à l’heure ainsi qu’à son John : la douleur ça fait mal. On ne joue pas. Et malgré le caractère allégorique de certains partis pris, Mullan non plus. Neds est une véritable empoignade de la part de son réalisateur, au même titre, si ce n’est plus, que The Magdalene sisters auquel il manquait la portée contemporaine. Notre modèle soi-disant anglais, le voici : il émane des entrailles putrides de la civilisation judéo-chrétienne. On ne devra pas s’étonner si elle accouche de déchets. Œil pour œil…
* Les plus avertis auront reconnu le slogan électoral de Nicolas Sarkozy…
** Les plus fans reconnaîtront la chanson des Clash…
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…
Lundi 7 juillet, au cours d’une cérémonie à la cinémathèque française, un long métrage et un court métrage se verront attribués le prix Jean Vigo, 2025. Wang Bing sera également récompensé pour l’ensemble de son œuvre.
L’anthologie du suspense et de l’humour orchestrée par Sir Alfred Hitchcock. 268 histoires courtes – dont un grand nombre d’inédits- à dévorer sans modération.