Mumu

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Le parcours chaotique d’un sale gosse dans la France d’après-guerre. Si la démarche autobiographique touche, le film ne convainc jamais réellement, peine à trouver son rythme et manque d’impact émotionnel.

En 1947, dans une France encore marquée par la Guerre ; Roger est un gosse mal-aimé, un spécialiste des bêtises. Renvoyé de plusieurs collèges déjà, il est placé à Saint-Eugène, un pensionnat de village où règne Mumu, l’institutrice la plus vache de la région. Entre la vieille fille aux allures de dragon et la jeune tête brûlée va naître une complicité sourde, une affection presque maternelle.

Mumu marque le retour de Joël Seria, un des grands talents du cinéma national, auteur de génie de comédies grivoises comme Les Galettes de Pont-Aven, Comme la Lune ; créateur du personnage inoubliable de beauf obsédé incarné à merveille par Jean-Pierre Marielle. Véritable sociologue de la France des Trente Glorieuses, il distille dans ses œuvres un sous texte politique subtil, une impertinence digne d’un Blier, une truculence proche d’un Mocky.

C’est en effet un film de retour que signe là Séria, une œuvre largement autobiographique, souvenir d’une enfance brisée, d’une histoire d’amour et d’affection avec une enseignante autoritaire. Il s’agit aussi d’un récit initiatique cruel, d’une vision lucide et acerbe de la France de l’après-guerre. Dans ce pays à reconstruire, toutes les plaies ne sont pas encore soignées et ce, malgré la politique de réconciliation nationale voulue par le Général. Qu’elles soient physiques ou mentales, les blessures doivent être oubliées.

De quoi souffre Roger ? Certes d’un manque évident de considération de la part de son père, de sa préférence affichée pour son grand frère, travailleur, sage et externe. Derrière ce père tyrannique se cache un mal plus profond qui affecte le jeune garçon : l’absence de figure tutélaire, d’incarnation de l’autorité, bref l’absence d’homme. C’est un fait connu : miné par deux guerres successives, l’Homme est amoindri, moralement épuisé et traumatisé par la barbarie qu’il a infligée et subie. Il ne veut plus du pouvoir symbolique et réel, conféré depuis des siècles par le patriarcat. Dans Mumu, tous les hommes sont faibles : d’abord ce père, même pas sûr de sa paternité et qui défoule ses soupçons d’adultère sur son fils le plus fragile mais l’on trouve aussi le Colonel, vétéran aveugle et estropié et enfin le prêtre et le pion, deux naïfs dominés et humiliés par la tigresse Mumu.

Seulement voilà, Mumu déçoit. Par son académisme, une direction d’acteurs maladroite ; tantôt hésitante tantôt cabotine ; enfermée dans une mise en scène paresseuse encore marquée par les scories de la réalisation télévisuelle.
Malgré le substrat autobiographique et la volonté de sortir des sentiers battus, Séria n’apporte rien de neuf au film de garçons, créneau surexploité dans le cinéma français actuellement. Pire encore, il ne nous épargne aucun poncif du genre ; tous (ou presque) sont là : la musique champêtre, la bande de terreurs qui règle ses comptes à la récré, l’Oceano Nox de Hugo, regards coquins sous les jupes des filles etc. À aucun moment, ces clichés scénaristiques ne sont dépassés, encore moins transcendés pour proposer une vision personnelle du sujet.

Joël Séria serait-il anesthésié par ses années loin du cinéma ? On est en droit de le demander tant Mumu ne goûte rien de l’insolence du Séria d’antan : c’est une série de souvenirs sans aspérités. Au mieux c’est gentil, au pire c’est niais et caricatural.
Le scénario, une accumulation de scènes anecdotiques, atteint son rythme de croisière dès vingt minutes de film. C’est un enchaînement de péripéties dont on ne saisit pas vraiment les conséquences, de situations sans réel enjeu apparent. Le film ennuie, ne décolle jamais vraiment sauf à la fin où le duo instit-enfant laisse poindre l’émotion. Mais il est déjà trop tard, le générique arrive.

Quant à Roger, on s’attache finalement assez peu à lui. Il faut dire qu’on est largement aidé par l’interprétation plate du jeune Balthazar Dejean de la Bâtie. Jamais le jeune comédien ne quitte son expression unique ; tête penchée et regard de chien battu ; et son jeu monocorde fait qu’on l’oublie très vite. On se reporte aux autres mais ce n’est guère plus brillant. Pourtant un tel casting avait tout pour plaire : Testud, Galabru, Pinon, Nogueira, de Caunes… mais tous semblent se perdre dans les méandres d’un scénario prévisible et d’une direction maladroite. En première ligne, Testud cabotine à mort dans son rôle de marâtre et son numéro d’insultes ; de tête de veau à fils de boche ; s’il peut faire sourire (à la limite) la première fois agace franchement à force de répétitions. Seul rescapé : Jean-François Balmer est impeccable, comme souvent, en curé gourmand et expert en langues.

Séria semble sérieusement en manque d’inspiration : son style autrefois brut et réaliste se perd désormais dans une mise en scène figée, baignée dans une lumière fade et hachée par des transitions bâclées. In fine, Mumu s’avère être un film maladroit, et ce qui s’annonçait comme un conte cruel, une sorte d’anti-Choristes et surtout le retour d’un grand cinéaste ressemble finalement à un téléfilm banal. Dommage.

Titre original : Mumu

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Durée : 90 mn


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