Mimì métallo blessé dans son honneur (Mimì metallurgico ferito nell’onore, 1972)

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Machisme, féminisme et engagement politique dans une comédie outrée et hyperbolique.

En 1972, La Classe ouvrière va au paradis, d’Elio Petri, remporte le Grand Prix international à la 25e édition du Festival de Cannes. Autre œuvre grandement contestataire, il concourt cette même année en Compétition officielle aux côtés de Mimì métallo blessé dans son honneur, premier film d’une décennie à succès pour Lina Wertmüller, et le premier à la sortir d’une certaine confidentialité. Les deux films se répondent, installés dans le milieu ouvrier du début des années 1970, où profit et syndicalisme ne font pas bon ménage. Mais alors que le héros de La Classe ouvrière va au paradis découvre l’engagement politique à la faveur d’un accident du travail, le Mimì de Wertmüller est, au contraire, un fervent communiste dont les convictions seront toutefois rapidement malmenées par le climat délétère des « années de plomb », et encore plus rapidement mises à la trappe dès lors qu’il s’agira de sauver sa peau. Anti-héros absolu, Mimì est l’une des incarnations les plus flagrantes d’un reniement total de soi. Conflit entre les idées et les actes : le thème est cher à Wertmüller, qui en fera également l’un des motifs principaux de Film d’amour et d’anarchie (1973) ou de Chacun à son poste et rien ne va (1974), ses deux productions suivantes.

Mimì travaille dans une usine de soufre à Catane, en Sicile. Il s’apprête à voter contre le candidat donné favori aux élections locales, un mafieux notoire. Mais les urnes ne se font pas dans le secret le plus total, et le voilà bientôt débarqué de son emploi. Au lieu de se battre, il s’exile à Turin, laissant derrière lui sa femme. À nouveau témoin des agissements crapuleux de l’Organisation, il invente un lien familial avec un de ceux qui « sont tous cousins ». Le subterfuge fonctionne, il est promu métallo, puis contremaître. Alors que ses idéaux s’effondrent, il rencontre Fiore, jeune troskiste jusqu’au-boutiste dont il tombe fou amoureux. Un fils naît, avant que la mafia ne le rapatrie en Sicile, où sa femme, ayant connu une liaison avec un gendarme local, attend elle aussi un enfant. Mimì, « blessé dans son honneur » en tant que bon macho italien dont l’infidélité s’accommode mal de la réciprocité, va chercher vengeance en mettant enceinte la femme de l’amant.

 

 

Il y a plusieurs films dans Mimì métallo blessé dans son honneur, dont le titre condense assez idéalement la teneur. Satire sociale d’une part, où l’aspect politique le dispute à une peinture du Sicilien « type » qui confine à la caricature : machisme, sens de l’honneur, cocus magnifiques sont tous observés de manière exacerbée, comme grossis à la loupe. Un homme admiré pour avoir une maîtresse est tenu pour homosexuel dès que la rumeur court qu’il ne fait plus l’amour à sa femme ; ce même homme, apprenant que cette dernière a vécu une aventure passagère, devient fou, allant jusqu’à la violence congugale (la scène est forte, assez tragique avant de basculer dans le grotesque), comme régulièrement chez Wermüller – ; il faut s’en séparer, mais ses amis admettent qu’aucun d’entre eux n’épouserait une divorcée, « en tout cas pas une Sicilienne ». Grand mélo d’autre part : toute la partie de la rencontre entre Mimì et Fiore est parfaitement flamboyante, à coups de grands travellings arrières, de gros plans sur les yeux qui se remplissent de larmes et de tirades romantiques exaltées, par ailleurs parmi les plus belles séquences du film. Film de gangsters aussi : Wertmüller prend un plaisir certain à filmer les mafieux, dans des plans inquiets qui ne sont pas sans rappeler les westerns classiques, à renfort de zooms avant nerveux (sur les triangles de grains de beauté des mafiosi notamment, signe de reconnaissance des « cousins » qui menacent Mimì).

Mimì métallo blessé dans son honneur
est pourtant avant tout une comédie outrancière, où chaque situation est hyperbolique et les traits clairement forcés. Que le féminisme éclatant de Fiore se dilue quelque peu lorsqu’elle tombe amoureuse de Mimì n’en fait pas forcément un féminisme à deux vitesses, mais sert surtout de contrepoint au machisme absolu de son amant, que Wertmüller cadre souvent de près, yeux écarquillés au maximum, cheveux hirsutes et lèvres folles, comme un Buster Keaton sous acides. Son cinéma est celui de la satire, de la farce, tout y est puisé dans le réel, mais ses images ne sont pas forcément réalistes, la réalisatrice ayant un goût certain pour l’exagération. Pour illustrer la césure entre ville et campagne, elle passe d’un plan baigné de lumière où Mimì est au centre, à Catane, à un plan large plongé dans le brouillard, où Mimì n’est plus qu’un point dans un flot de circulation et d’inhospitalité glaçante. Pour souligner le caractère dominateur de son personnage, elle fait porter à Fiore, sous prétexte de la cacher de la femme de Mimì, un voile quasi intégral alors que le couple vient de parler de la condition des épouses turques.

 

 

S’il y a bien de la dénonciation dans l’art de Wertmüller et que Mimì métallo blessé dans son honneur ne cache jamais son statut de critique sociale, c’est au profit d’un humour tapageur, qui n’a pas peur d’aller jusqu’au malaise, ou même d’en découler. Dans la scène la plus marquante du film, Mimì doit faire l’amour à l’épouse de l’amant de sa femme. Elle se débat d’abord, le plan est long, insiste sur les pulsions de viol qui traversent régulièrement Mimì (c’était le cas auparavant avec sa femme, et avec Fiore lors de leur premier rendez-vous dans un parc), et est très inconfortable. Quand elle se ravise et décide de céder, elle se déshabille, révélant un corps obèse. Wertmüller renverse la situation, filme les fesses flasques en très gros plan, presque déformant – la scène devient aussi drôle que surréaliste, pas forcément étrangère au travail de la cinéaste en tant qu’assistante de Federico Fellini sur 8 ½ (1963). Ce n’est pas la moindre des irrévérences de Mimì métallo blessé dans son honneur, idéal point d’entrée dans l’œuvre de Lina Wertmüller, qui marque aussi le début d’une longue collaboration avec celui qui deviendra son acteur fétiche, Giancarlo Giannini. Il est génial, incarne un salaud fini avec un jeu tellement dans l’excès qu’on finit par ne pas le détester tout à fait. Un an plus tard, Giannini remportera d’ailleurs à Cannes le Prix d’interprétation masculine pour son deuxième film avec Wertmüller, Film d’amour et d’anarchie

Titre original : Mimì metallurgico ferito nell'onore

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Durée : 125 mn


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