Curieusement, mezzo voce, c’est le célèbre poème de Paul Eluard J’écris ton nom Liberté qui se murmure tout au long du film, dans ce Hollywood, sorte de huis-clos d’une aliénation qui ne dit pas son nom comme pour en dénoncer à la fois le mensonge et souligner son paradoxe. Car Hollywood est tout sauf une terre de liberté, et c’est en gros le message de David Cronenberg qui, par le biais d’un excellent scénario, s’emploie à nous le dépeindre comme un entomologiste dans ce qu’il peut avoir de plus trivial (sexe et argent) et de plus monstrueux (inceste, télévision, narcissisme). Bien sûr, l’exercice n’est pas nouveau depuis Sunset Boulevard de Billy Wilder (1950), en passant par The Player de Robert Altman (1992), Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich (1962), ou encore, d’une autre façon, Mulholland Drive de David Lynch (2001). David Cronenberg va pourtant pousser le bouchon encore plus loin en mêlant à la fois la fiction de son récit à la réalité du Hollywood contemporain en n’hésitant pas à citer des noms au passage ou en s’inspirant de Macaulay Culkin, l’enfant star de Maman, j’ai raté l’avion de Chris Columbus (1990), obligé d’arrêter à l’adolescence le cinéma pour des affaires de drogue et de déraison.
Le film commence par l’arrivée d’une étrange passagère, un peu grunge, dans un Greyhound et qui porte un sweet-shirt sur lequel on peut lire « Bad Babysitter », on comprendra plus tard pourquoi dans la mesure, où Oscar en main, elle se montrera à la hauteur de la devise qui est aussi le titre de la série à succès dans laquelle joue son jeune frère bientôt incestueux. Ce qu’il y a d’étonnant, c’est que cette jeune fille n’a rien de glamour et, pourtant, une belle voiture (presque une limousine) l’attend avec un jeune et beau chauffeur, Robert Pattinson qui se croit sorti des films de vampires et qui y retombe nolens volens, personne n’échappe à son destin même tragique.
David Cronenberg, avec une photographie impeccable, perd peu de temps pour installer ses personnages, tous plus cyniques, intéressés, narcissiques et en quête d’une gloire même illusoire les uns que les autres. Un vrai pandémonium sous couvert de politesse typiquement américaine et de regards assassins. Bienvenue dans ce qu’on a tendance à appeler la Mecque du cinéma mondial. Au contraire, il s’agirait bien plutôt d’une Babylone assoiffée de sang neuf, d’intrigues de palais, de petites mesquineries et de grandes trahisons. Le film est littéralement habité par une star vieillissante, hantée par le fantôme de sa mère et dont elle rêve de reprendre le rôle au cinéma. Pour incarner ce personnage, Julianne Moore est remarquable, n’hésitant pas à se rendre ridicule ou pitoyable, c’est selon, devenant vraiment archétypale de la star prête à tout pour continuer à alimenter son narcissisme. Car d’argent, elle n’a pas vraiment besoin, ni de notoriété.