Magimel : un De Niro dans l’Hexagone

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Dès sa première apparition sur grand écran, il avait l´étoffe d´un grand acteur. Sa carrière et ses personnages multiples, qui ont souvent en commun ce goût du drame, le confirment depuis maintenant près d´un quart de siècle.

Dans L’Avocat de Cédric Anger, un homme de loi brillant se laisse compromettre par un entrepreneur mafieux dont il assure la défense par facilité. Tout le contraire de l’acteur qui l’incarne, Benoît Magimel. Performance est un mot qui lui conviendrait d’ailleurs mieux. Performance d’acteur et performance au regard de la carrière qui est la sienne. A 37 ans – il est né le 11 mai 1974 à Paris –, ce jeune homme a déjà presque tout fait avec une aisance déconcertante récompensant sa préparation acharnée pour chaque rôle. Même dans un navet, Magimel déçoit rarement. Après avoir été le héros du Mon pote de Marc Esposito en 2010, il intègrera en 2011 les Forces spéciales de Stéphane Rybojad et devra faire face à Des vents contraires dans le deuxième long-métrage de Jalil Lespert dont le tournage démarre en ce mois de janvier.

La vie est un long fleuve tranquille d’Etienne Chatiliez (1987) fut comme on sait sa première expérience cinématographique où, à douze ans, il incarnait un enfant élevé dans un milieu populaire découvrant que sa véritable famille appartient à la bourgeoisie. Ce tournage constitue alors pour lui « des vacances » : « Le Quesnoy, dans La vie est un long fleuve tranquille, qui en deux mois avait su se fondre dans le moule. Moi, c’est pareil, je suis à l’aise dans tous les milieux, en tout cas je sais faire semblant. ». Une capacité que Benoît Magimel, fils d’une infirmière et d’un employé de banque divorcés, va mettre à profit. A 16 ans, il abandonne les bancs de l’école pour se consacrer à son futur métier : comédien. Espoir masculin du cinéma français en 1997 pour Les Voleurs d’André Téchiné, dont il partage l’affiche avec Deneuve et Auteuil, il confirme son talent à ceux qui en doutaient encore en obtenant le Prix d’interprétation à Cannes en 2001 pour La Pianiste de Michael Haneke, où il interprète avec brio l’élève d’une pianiste (Isabelle Huppert) entretenant avec elle une relation amoureuse un rien perverse.

Plus d’une trentaine de films en près de 25 ans

Entre temps, Magimel a travaillé notamment avec Mathieu Kassovitz (La Haine, 1994) et Benoît Jacquot (La Fille seule, 1995). Plus tard, il tourne Les Enfants du siècle de Diane Kurys (1999), qui lui permet de rencontrer celle qui sera sa compagne quelques années durant et la mère de son premier enfant, Juliette Binoche. Les années 2000, qui démarrent avec Le Roi danse de Gérard Corbiau, sont aussi marquées du sceau de Chabrol avec trois collaborations : La fleur du mal en 2002 – année aussi d’Effroyables jardins de Jean Becker –, La Demoiselle d’honneur en 2004 et La Fille coupée en deux en 2007, son film préféré avec le réalisateur. Après Déjà mort (1997), il retrouve son ami le réalisateur Olivier Dahan pour Les Rivières pourpres II (2004), où il reprend le rôle de Vincent Cassel face à Jean Réno. Inju (2007), adaptation d’un roman de Ranpo Edogawa, est un film qu’il tourne sous la direction d’un artiste dont il se dit « grand fan » : Barbet Schroeder. Une autre adaptation littéraire l’attend la même année avec La Possibilité d’une île, le « film expérimental » de Michel Houellebecq.

Si Selon Matthieu de Xavier Beauvois, en 2001 (dont le scénario a d’ailleurs été écrit par Cédric Anger) est un film qui l’a « beaucoup touché » à cause de « l’histoire de famille et le rapport avec le grand frère » (Magimel a aussi un frère aîné), il est un autre film qui occupe une place particulière dans sa filmographie : L’Ennemi intime de Florent Emilio Siri, un autre cinéaste-ami rencontré quand il avait 18 ans. « Je crois qu’on se connaît bien. C’est plus simple de travailler avec des gens qu’on connaît. Au-delà de l’amitié que l’on se porte, je pense qu’on a une sensibilité assez proche. (…) Et on apprécie notre travail mutuel », expliquait Benoît Magimel dans un entretien. Florent Emilio Siri lui aurait ainsi permis de découvrir un cinéma qui lui était alors inconnu. Des affinités qui ont donc donné lieu à trois films : Une minute de silence (1998), Nid de guêpes (2001) et L’Ennemi intime (2007). Sur ce dernier film, Siri et Magimel s’investissent dans un projet cinématographique engagé. « Un film, ça peut permettre d’éveiller et de comprendre un peu mieux. On ne voit jamais des films critiques sur (la guerre d’Algérie) ». Dans ce film de genre, il est le lieutenant Terrien, qui débarque en Kabylie en 1956. Ses idéaux cèdent peu à peu face à la violence de la guerre qui se déroule dans le pays, faisant bientôt de lui un fervent amateur de la torture. Un film nécessaire pour Benoît Magimel, qui déplore que son pays ait du mal à laisser le cinéma évoquer les pans douloureux de son histoire.

Ce jeu, devenu parfois moyen d’action, Benoît Magimel l’a fait évoluer. De cette envie féroce de faire quelque chose de différent du précédent rôle dans le choix des prochains, l’acteur s’est progressivement libéré, se laissant désormais simplement porter. « Plus ça va, plus c’est difficile de faire des choix… on doit faire avec ce que l’on est, avec son physique et en fonction de son instinct », affirmait-il y a quelques années. De même, si l’artiste a une affection particulière pour la comédie, qu’il considère comme « l’art suprême », il avoue préférer les rôles qui répondent à son besoin d’enjeu : « un personnage (…) confronté à quelque chose de fort. Ce n’est pas une ligne, mais c’est naturellement ce vers quoi je me tourne ». Ses préférences ont fini par se laisser deviner puisqu’on aime lui proposer, selon ses propres aveux, des rôles de « taiseux », de « durs ». Il est magnifique notamment dans Truands de Frédéric Schoendoerffer (2007), comme un clin d’oeil – il est encore le bras droit d’un chef de gang – et une confirmation de sa performance dans le film de Téchiné. Son registre est souvent empreint de gravité, qu’il s’agisse de films d’époque, de drames contemporains ou d’histoires d’amour. A l’approche de la quarantaine, ses rôles semblent devoi surfer sur le même registre en gagnant en maturité, selon lui. Dans L’Avocat, il campe ainsi un futur père de famille. Rôle de patriarche qu’il retrouve dans sa deuxième collaboration avec Jalil Lespert.

Un « physique » de taiseux

Des personnages denses, certes. Mais paradoxalement, le physique aussi compte pour Benoît Magimel. Pas n’importe lequel cependant : « Jouer avec le physique, j’adore. C’est mon école d’acteurs », déclarait-il récemment à un journal belge. Il constate d’ailleurs qu’ « il y avait déjà tout » dans son premier rôle. Benoît Magimel n’est par conséquent jamais vraiment le même d’un film à un autre. L’artiste aime « les acteurs qui se transforment », a « le goût du costume ». « Je suis moins attiré par les acteurs de caractère », confiait-il aux Inrocks en 2007. Ainsi apprécie-t-il « les acteurs français, ceux des films de Renoir ou de Becker, par exemple. J’aime beaucoup Michel Simon, et aussi Louis Jouvet, dont l’austérité peut parfois m’ennuyer ».

En dépit de sa longue expérience cinématographique, Magimel a toujours l’impression « de redémarrer toujours quelque chose » et que sa carrière « se fait film après film ». « Tous les cinq ans, il se passe un truc nouveau. Ce métier, ce sont des rencontres et la sensation de vivre des dizaines de vies. Je ne suis pas boulimique. J’ai besoin de temps entre les films. J’aime aussi prendre le temps de vivre ». L’acteur français, qui se considère comme « casanier » est un amateur de VHS devenu un familier du DVD, bon moyen sur un tournage ennuyeux d’ouvrir ses horizons cinématographiques.

Benoît Magimel, qui n’a jamais vécu à l’étranger, a un faible pour « les coproductions des années 60, où des acteurs de tous pays se mélangeaient » . Une carrière américaine ? « Pourquoi pas ? » Mais pas question de s’y installer, sachant qu’il rêve notamment aussi de tourner en Italie. L’autre envie de cinéma de celui qui fut percussionniste, fan de ragga, de salsa, de musique cubaine et aujourd’hui de Matthieu Chedid : la réalisation. Il attend juste la « bonne histoire » pour passer derrière la caméra, une manière d’exhumer, comme tous les autres acteurs qui le font, « une petite frustration ». Dans la carrière cinématographique de celui que l’on pourrait surnommer « le De Niro français », il manque aussi peut-être une vraie comédie romantique, toute en légèreté. Il devrait y faire des étincelles.


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