Lilting ou la délicatesse

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Lost in translation.

Dans la séquence inaugurale de Lilting ou la délicatesse, Junn, une dame sino-cambodgienne d’une soixantaine d’années, converse avec son fils Kai. Le papier peint est fleuri, délicieusement vintage ; un standard pop chinois passe en fond sonore. Nous sommes à Londres, dans une maison de retraite sordide qui tente de recréer l’ambiance des années soixante pour que ses pensionnaires se sentent à leur aise. Junn explique à Kai qu’elle n’aime pas son “meilleur ami” Richard (Ben Wishaw), qui l’éloigne d’elle. Quelques minutes plus tard, Kai n’est plus là : il est, en réalité, mort quelques semaines plus tôt dans un accident de la route. Et Richard est, bien sûr, son petit ami, ils vivaient ensemble depuis quatre ans. La scène est flottante et délicate, et donne le ton d’un film compassionnel et sensible, si occupé à ne pas verser dans le sentimentalisme qu’il semble souvent menacer de s’évaporer. Lilting est un film de deuil, mais pas de ceux où les survivants hurlent leur douleur ou s’arrachent les mains contre les murs ; plutôt de ceux où la souffrance est intégrée, quelque chose avec lequel il va désormais bien falloir vivre.

Richard, quand on lui demande comment il va, s’autorise parfois à dire que ça va “à peu près”. Junn ne dit rien, immigrée chinoise arrivée en Grande-Bretagne il y a des années mais à qui il n’est jamais venu à l’esprit de se faire à la culture de son nouveau pays, encore moins d’en parler la langue. De là vient l’idée originale, ténue mais forte, du film : Richard décide de prendre Junn en charge – l’idée étant de concrétiser le projet de l’installer chez lui, comme ils en avaient parlé du vivant de Kai – et, du même coup, embauche une interprète, Vann, pour leur servir de traducteur, à lui, Junn et Alan, un vieil homme de la maison de retraite qui s’est entiché de Junn (et qui donne au film des moments de pure comédie, allégeant l’ensemble). Lilting devient alors, presque exclusivement, des échanges filmés où les dialogues se font à trois, Vann tentant de restituer au mieux les éléments de langage pour que, peut-être, une compréhension mutuelle puisse finir par se faire. Pari audacieux que de penser la communication comme un combat au long cours, et Hong Khaou le tient remarquablement, en filmant les conversations en entier et dans les deux langues, s’abstenant de sous-titres aux moments opportuns.

La grâce fragile du film vient alors de ce qui loge dans les creux de ces conversations, de tout ce qui est perdu dans la traduction, comme quand Junn reproche à Richard de lui avoir “volé [s]on fils unique” – il s’emporte, “Kai était ma vie”, avant de très rapidement demander à Vann de ne pas le répéter en mandarin, “elle n’était pas au courant”. Si l’attitude de Richard tient parfois de l’absolu don de soi (pourquoi est-il si gentil et patient avec une femme qui ne l’accepte pas ?), le cinéaste évite soigneusement l’épiphanie de fin de parcours : Richard et Junn ne deviendront pas meilleurs amis, pas plus qu’un mot ne viendra faire soudainement voler en éclats la carapace de Junn. Mais grâce à une interprétation extrêmement solide des deux comédiens et une mise en scène soignée bien que fauchée, Lilting émeut en choisissant de ne jamais souligner l’indicible. Hong Khaou se garde de juger qui que ce soit et préfère, pour dire l’ébauche de possibilité d’un dialogue, imaginer qu’un jour, ces deux-là pourraient se passer des services de Vann.
 

Titre original : Lilting

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Durée : 96 mn


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