Marc Scialom a dû tourner avec son propre argent Lettre à la prison car, dit-il à l’époque, « le scénario n’avait intéressé personne ». Nous sommes en 1969, il y a une éternité.
Pourtant, le sujet de Lettre à la prison, qui ressort ce 2 décembre 2009, universel s’il en est, a nourri et continué d’alimenter le septième art. Il s’agit de l’immigration. Le thème du départ mais surtout celui de l’arrivée dans l’inconnu, chez l’inconnu, être étranger chez l’étranger. Nous ne sommes pas loin, d’ailleurs, lorsque l’on évoque l’étranger, de l’absurde camusien incarné par Meursault. Tahar n’est pas Meursault, certes, et leurs histoires sont différentes mais l’on peut se demander s’il y plus grand boulversement, plus grande fatalité dans la vie d’un homme que celui de devoir quitter sa terre natale, et surtout de se retrouver en territoire inconnu, souvent hostile, sans repères. Un intrus. Lettre à la prison est précédé de grands films sur ce thème et l’on pense immanquablement au prodigieux America America d’Elia Kazan. Pour Kazan, c’est l’Amérique, mais l’inconnu reste le même.
Marc Scialom n’avait pas, loin s’en faut, les moyens de Kazan pour tourner son premier film. Le scénario : c’est l’histoire, en 1970, d’un jeune Tunisien qui débarque à Marseille, étape vers Paris où il doit porter assistance à son frère, accusé à tort d’un meurtre et emprisonné. C’est la voix off – lettre de Tahar à son frére – qui domine le film. Le jeune Tunisien y confie ses impresssions.
Le film, miraculé d’une certaine manière puisqu’il avait été abandonné par son auteur et a été exhumé par sa fille trente-cinq ans pus tard, est une fiction de petit format (70 mn), qui ressemble en tous points à un documentaire. Et c’est tout son charme. Document hyper monté, puisqu’à l’époque Scialom avoue avoir consacré un an au montage en travaillant par effraction et uniquement de nuit dans une salle à laquelle sa femme, qui était monteuse, lui donnait accès. D’ailleurs, lorsque le réalisateur cite comme une de ses références cardinales A bout de souffle, on ne peut que le croire, car souvent il y a le même passage d’un plan à l’autre, une même jointure. Scialom explique : « Le cinéma, ce n’était pas ce qui se passe à l’intérieur d’un plan, mais ce qui se passe au moment où deux plans s’entrechoquent et se succèdent, c’était ça qui m’intéressait. »
Lettre à la prison est donc scandé par ces plans très « Nouvelle vague » ô combien séduisants. Il s’agit donc bien d’un document, non seulement instructif sur l’immigration, mais aussi pourvu d’une qualité et d’une audace formelle passionnante, car il est diffusé « dans son jus » (pellicule noir et blanc abîmée), sans esbroufe, sans effet, sans tricherie. C’est aussi une œuvre qui vaut par son histoire, celle d’un film repoussé par tout le monde et aussi par le refus ou l’incapacité de son géniteur à entreprendre toute démarche de VRP pour trouver de l’argent. Oui, pour tout cela, Lettre à la prison est un film intéressant.
Mais toutes ces raisons ne suffisent pas en faire un film convaincant. Si la rupture avec le formalisme classique est à mettre à l’actif du film, son visionnage est décevant. Et cela tient, dans une large mesure, à la bande son particulièrement inaudible. Il fallait ici enfreindre cette idée de ne toucher à rien et retravailler le son. Il faut bien avouer qu’ au nom de l’authenticité absolue, la force du film s’en trouve gâchée. D’autre part, divers thèmes qui y sont abordés, comme le désir (celui de la femme autochtone entre autres), le sont de manière à ce qu’aucune émotion (ou si peu) ne se dégage des scènes.
Finissons sur une belle note et certainement l’image du film la plus admirable : un cargo traverse la Méditerranée dans le sens Tunisie-France, chargé sur le pont de passagers, sur sa proue se détache son nom : Avenir.