« A moi la vengeance, dit le Seigneur. Si donc ton ennemi a faim, donne-lui à manger; s’il a soif, donne-lui à boire. En agissant ainsi, tu amoncelleras des charbons ardents sur sa tête. », Romains 12, La Bible
Après l’échec de Tendre voyou (1966), une comédie avec Jean-Paul Belmondo qui s’apparente à l’univers de Philippe de Broca mais d’un grand guignolesque poussif, Jean Becker opère un virage total de registre avec L’été meurtrier. En choisissant d’adapter ce roman de Sébastien Japrisot, il réalise un film qui restera comme une œuvre remarquable de sa filmographie et qui n’a pas perdu sa puissance sensible ni la force de sa mise en scène avec le temps.
Durant les années 1970, une jeune femme, Eliane (Isabelle Adjani), séduisante et insaisissable qui fait tourner les têtes et trouble les garçons, arrive dans un petit village du Sud de la France avec son père adoptif paralysé (Michel Galabru), avec qui elle entretient une relation déséquilibrée, et sa mère, dont on apprend qu’elle est d’origine allemande. « Pinpom » (Alain Souchon) qui travaille comme pompier volontaire et garagiste, tombe sous le charme de la jeune femme. Derrière cette idylle se cache le plan de vengeance d’Eliane : fille d’un viol elle planifie depuis des années de venger sa mère (dont la scène de trauma originel marque un point de rupture dans le film), et elle soupçonne feu le père de Pinpom d’avoir été l’un de ses agresseurs. Cette idylle va renverser la vie tranquille de Pinpom au fur et à mesure qu’il découvre l’instabilité d’Eliane.
Toute la richesse émotionnelle du film réside dans la tension lourde que Jean Becker installe à travers le jeu de ses deux acteurs et l’atmosphère suffocante qu’il développe. Si Alain Souchon ne montre pas des talents de comédien évidents, la candeur naturelle qu’il dégage apporte l’innocence nécessaire à son personnage et contraste avec la personnalité provocante et sinueuse campée par Isabelle Adjani. L’honnêteté de Pimpon se cogne au caractère malsain d’Eliane, au regard effronté et perturbant. La jeune femme est obnubilée par le désir de vengeance dont elle est prisonnière, qui donne du sens à sa vie et qui l’aliènera tant qu’il finira par la perdre dans une scène de décompensation bouleversante. Derrière ses tenues pastels légères et transparentes, Eliane, as du calcul mental (« ça et mon cul c’est tout ce que le bon Dieu m’a donnée » dira-t-elle), grâce à l’interprétation exceptionnelle d’Adjani, tour à tour attachante et inquiétante, porte le film et le plonge progressivement vers une issue tragique que l’on pressent dès le départ.
Tourné dans le Vaucluse, à Carpentras et ses alentours, Jean Becker joue sur le soleil de plomb du décor pour alourdir l’atmosphère ambiante. L’avancée dans le film plonge les spectateurs dans cet état électrique de nervosité que peut provoquer une moiteur suffocante avant le coup de tonnerre vers un orage inéluctable ( à l’image de la séquence de mariage entre Pimpon et Eliane, où celle-ci disparaît brusquement). Si bien qu’à la sensualité des corps (particulièrement celui d’Eliane) sous la chaleur du sud mélange et à leur érotisme vient bientôt se substituer de manière malaisante le corps détruit de la femme violée. La partition musicale toujours exceptionnelle de Georges Delerue arrive à trouver un équilibre entre la balade dansante de la vie au premier abord tranquille du village et les notes plus menaçantes et tragiques des évènements.
Après l’Eté meurtrier, Jean Becker tournera Elisa, un autre film de vengeance, où c’est à nouveau une jeune fille (jouée par Vanessa Paradis cette fois) qui cherche à venger la mort de sa mère en partant à la recherche de son père tenu responsable de sa tragédie. Comme dans L’Ete meurtrier, la vengeance apparaît moins comme un exorcisme libérateur que comme une aliénation destructrice pour la personne qui souhaite se venger, aveuglée par sa haine.