Virgins from Victorian Times
La cinéaste, à son habitude, soigne sa mise en scène, son décor, ses détails acidulés (le titre rose du film, à la police déliée, sa bande son piquante), faisant du pensionnat un édifice imposant et immaculé, aux colonnes antiques, aussi « pur » que les vies des jeunes vierges aux délicates robes de temps victoriens qu’il renferme. A l’instar du film de Don Siegel, tout se joue entre le portail de la propriété, le pensionnat et l’escalier qui relie la chambre, calé discrètement dans un coin de mur, élégant, là où le massif escalier en escargot de l’oeuvre originale servait d’armature centrale aux faits et gestes des personnages. Sofia Coppola choisit une réduction de l’utilisation de l’espace intérieur, qui vire au confinement, instaurant une atmosphère ouatée, lumière tamisée à la bougie, distillant des sensations mêlées, de langueur et d’étouffement féminins, dans un crépuscule qui semble ne jamais finir. Une scénographie évocatrice, aux effluves de poison qui se répandent dans l’air, dont la beauté d’un univers comme mis en quarantaine augurait de prometteuses manières de se saisir du sujet. Le film n’ira, et c’est dommage, pas plus loin dans le trouble, restant très au seuil de ses effets, manquant de la crépitation d’un regard.
L’ère machiste Siegel/Eastwood contre le gynécée de Sofia Coppola
Le gynécée de blondes réunies ici, qui rappellent les sœurs Lisbon de The Virgin Suicides (1999), le premier long métrage de la réalisatrice, ne possèdent pas leurs manigances sentimentales et en cachent volontiers une forme de frustration émotionnelle et charnelle. Même le nouveau personnage du Caporal McBurney (désormais joué par Colin Farrell, aussi pâlot acteur ici que Clint Eastwood à l’époque), est devenu beaucoup plus équivoque que l’était le personnage menteur et plus directement profiteur de l’original. A l’image de la scène du début, la réalisatrice semble avoir gommé toutes les occasions de saillie psychologique du film, n’atteignant jamais le grain de folie qui finissait par exister à l’issue de l’œuvre de 1971. Un loupé, d’autant que le casting doué proposé des actrices à même d’exceller dans l’ambiguïté de ce registre (Kirsten Dunst, Nicole Kidman, Elle Fanning) mais réduites ici à des figures en lesquelles on peine à s’identifier. Que Sofia Coppola ait fait le choix de favoriser le point de vue du groupe de femmes (là où l’œuvre de Siegel suivait davantage l’esprit de McBurney) renforce cette sensation de détachement que produit Les Proies, faisant de ces personnages féminins un ersatz assez désincarné des quelques beaux portraits de femmes représentées auparavant dans ses oeuvres. Il en reste des émanations douces, des arômes sucrés qui forment la marque la plus facile de la touche Sofia Coppola mais font ici presque regretter le film original, tant ce remake s’apparente à un tableau vivant très sage, dont on attendrait en vain qu’il se mouve et se craquelle un peu dans son décor. Un constat qui laisse songeur quant au prix reçu par le film au dernier Festival de Cannes : celui de la mise en scène.