Les Fraises des bois

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Dominique Choisy nous prouve que, pour faire un bon film, il ne faut pas beaucoup d’argent mais qu’il suffit de se donner le temps de guetter les émotions que le corps sait transmettre et que la caméra doit saisir.

Deux histoires parallèles, deux vies parallèles, et trois saisons : l’hiver, le printemps et l’été. Ce n’est pas seulement une saison qui manque dans ce film, mais c’est l’amour, ce dont les deux personnages sont à la recherche. Amour ou plutôt compréhension, pour des gens malmenés par la vie il s’agit presque de la même chose. L’action se passe en Picardie, il fait toujours froid et, contre le froid, il n’y a que le feu qui puisse faire quelque chose : le feu de l’âme.

Elle, c’est Violette (Juliette Damiens). Fille unique, enceinte sans jamais avoir eu de copain, née d’un père chasseur et propriétaire terrien et d’une mère femme au foyer malheureuse. On se pose des questions sur sa future maternité : imaginaire, immaculée conception ou inceste ? Lui, c’est Gabriel (Julien Lambert). Garçon seul, sans parents, mais avec un secret, sauvegardé par une femme à qui, chaque mois, il donne l’argent qu’il n’a pas gagné par son travail à mi-temps dans un magasin. On avance petit à petit dans ce film de silence constitué de beaux cadres fixes et la vérité, on la découvre petit à petit. On s’attache à ces deux personnages, prêts à tout pour faire feu sur leur passé, pour effacer les taches que quelqu’un a laissées sur leurs corps. Deux lignes solitaires sans fin ne peuvent se rencontrer. Il faut une troisième ligne pour que les deux précédentes, destinées à se perdre dans l’infini, se croisent enfin et il faut aussi que cette troisième ligne soit prête à dévier de son chemin pour permettre aux deux autres de se tisser. Policier, homosexuel, homme seul, Frank (Stéphane Lara) trace cette troisième voie de rencontre et c’est donc par lui que le film pourra se trouver une fin, particulièrement radicale.

Impossible d’en dire plus sur un film qui nous capte par la beauté de ses images (des nuits parsemées de taches de blancheur ; harmonie de couleurs vives et contrastées – vert et rouge comme couleurs dominantes), mais aussi par le suspense qui domine tout du long. Ce deuxième film de Dominique Choisy qui travaille avec peu de moyens, avec comme seul financement celui de la région Picardie, bénéficie de la présence d’un bon casting. Toute la tension qui le traverse est tracée sur les muscles du corps de Julien Lambert, sculptée par une photographie qui prend le temps de parcourir les veines en saillie du personnage, véritable baromètre émotif du film. La tristesse qui traverse le visage de Juliette Damiens est rendue par la monotonie de son regard, éteint mais furieux, résigné mais prêt à juger des parentes incapables de voir, incapable d’aimer.

Dominique Choisy nous prouve que, pour faire un bon film, il ne faut pas beaucoup d’argent mais qu’il suffit de se donner le temps de guetter les émotions que le corps sait transmettre et que la caméra doit saisir. Plan fixe et, dans le silence de la campagne, un seul chant s’élève, la voix de Loredana Berté, chanteuse italienne qui connaît le désespoir et qui hurle : « e lo scaldava il fuoco umano della gelosia » (« et c’est le feu humain de la jalousie qui le réchauffait »). Encore le feu : dans l’âme et dans les mains.
 

Titre original : Les Fraises des bois

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Durée : 118 mn


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