Les ailes sombres de la new wave et de la cold wave dans le spectre cinématographique

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New Wave, Cold Wave, Dark Wave, courants musicaux vénérés par certains et honnis par d´autres.

Musiques froides, dépressives, mélodies pour tétraplégiques affectifs, tous les adjectifs ont été utilisés pour caractériser ces courants émergés à la fin des années 70.

Enfants du punk, rejetons d’une Angleterre en perte de vitesse, les années 70 ressemblaient à un cauchemar industriel sorti tout droit d’une peinture d’Anselm Kiefer. Aucune porte de sortie, un paysage uniformément triste et gris, cette Angleterre semblait prise à la gorge par son propre appétit de dévastation. Unique échappatoire à cette morosité ambiante, l’exorcisme Musique, qui transforma les Landes mortes en territoires électriques, redéfinissant à nouveau les contours du rock.

Au milieu des années 70, le punk dévastait toutes les oreilles s’approchant de près ou de loin aux hurlements de ses chanteurs, et la musique industrielle prenait racine dans ses idéologies les plus extrêmes avec un groupe comme Throbbing Gristle. Il ne manquait plus que la nouvelle vogue des synthétiseurs et des boites à rythme pour que de nouveaux courants naissent de leurs cendres fumeuses.

Mai 1977, premier concert d’un groupe se faisant appeler Warsaw, à l’influence punk évidente. Quelques mois plus tard, en 1978, ce même groupe prend le nom de Joy Division et devient le chef de file du courant Cold Wave issu de la génération post-punk. C’est à lui que l’on doit les bases de la New Wave dont la Cold Wave est un sous-courant. Par ses rythmes martiaux et un son glacial, Joy Division marqua toute une génération en proie au malaise d’une société en plein bouleversement. D’une poésie lugubre et mélancolique, aux sonorités nocturnes, Joy Division fut suivi par The Cure, Cabaret Voltaire, Siouxsie and the Banshees ou bien encore Tuxedomoon pour les plus célèbres. En revanche beaucoup de groupes étiquetés « cold wave » disparurent au milieu des années 80, ou évoluèrent vers d’autres sonorités, comme la musique électronique avec New Order ou la musique mystico-lyrique avec Dead Can Dance.

En seulement quelques années, les poètes maudits de la cold wave, dont le suicide du leader de Joy Division, Ian Curtis, accentua l’image, insufflèrent un sang neuf au rock et marquèrent toute une génération de futurs musiciens, de The Cure à Nine Inch Nails. Leurs spectres rôdent encore, et s’ils continuent de se propager dans les méandres du rock, le médium cinéma ne s’est jamais pressé pour entamer avec eux une séance de spiritisme. Peut être que cela sera chose faite avec la sortie de Control, biographie de Ian Curtis.

Control. Il fallait bien le statut culte d’un groupe comme Joy Division pour convaincre un producteur de miser sur un pareil projet. En effet, qui voudrait financer un film sur ces groupes à la musique si mélancolique ? Quel spectateur se déplacerait pour assister aux combats d’une génération où tous seraient habillés de noir, habits de deuil pour leur pays en berne ?

Control n’est d’ailleurs que le deuxième film consacré véritablement à ce courant musical après 24 Hours Party People de Michael Winterbottom réalisé en 2001. Dans ce dernier, le réalisateur protéiforme propose une reconstitution biographique de la figure de proue de Factory Records, fameuse maison de disques anglaise qui propulsa à la fin des années 70 et au début des années 80 des groupes mythiques comme Joy Division ou Happy Mondays.

Dressant le portrait de cet homme, Tony Wilson, Winterbottom va en profiter pour dépeindre une époque perdue dans les limbes du rock mais dont les cicatrices sont toujours vivaces. Du concert en 1976 d’un groupe inconnu, les Sex Pistols, à l’explosion des groupes phares de la Cold Wave, en passant par la célébrité de l’Hacienda, boite de nuit ayant organisé les premières rave-parties, 24 Hours Party People embrasse tout ce courant sous l’œil de son producteur loufoque. L’aspect un peu brouillon de l’ensemble, image saturée, extraits de concerts, et son filmage en DV restituent l’esprit de liberté de l’époque.

Malheureusement le film n’a reçu qu’un accueil public très mitigé. Car c’est là tout le danger. Si la New Wave a eu et a encore une influence capitale sur le rock d’aujourd’hui, il n’en reste pas moins que l’évocation de ses sombres racines s’adresse à une génération donnée et à un public bien spécifique. Il serait en effet plus facile et plus vendeur d’aborder le rock psychédélique des Pink Floyd ou des Beatles ou la musique électro-indus des années 90 à nos jours. Public plus large, connotation moins ténébreuse, les paris seraient moins risqués.

Sous cet éclairage la sortie de Control est un défi très audacieux. Abordant frontalement la destinée tragique du plus digne représentant de la New Wave et de la Cold Wave, Control va au-delà de l’ignorance du public pour son sujet afin de se focaliser sur ce qui lui importe le plus, à savoir être le témoin d’une époque dans l’Histoire du Rock avec, au premier plan, l’un de ses nombreux anges déchus. Son réalisateur Anton Corbijn, fin connaisseur du milieu du rock n’ roll, s’est arrogé les conseils de nombreux acteurs de ce mouvement afin de parfaire cette biographie à l’esthétique très soignée et au spleen hypnotisant. Il reste à espérer que le public fasse enfin un accueil chaleureux à cette frange musicale.

Les corbeaux ont donc le droit à leur film mémorial, et les autres ne pourront que s’émouvoir devant tant de mélancolie muée en pulsion créatrice. De toute façon, ce sont toujours les heures sombres de l’Histoire qui ont façonné les plus grandes œuvres.


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