L’Envers d’une histoire

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Film emprunt d’une grande délicatesse, l’Envers d’une histoire, nous raconte par le biais de l’intime, l’histoire complexe et douloureuse de la Serbie contemporaine.

Il y a pour un documentariste mille et une façons de raconter une histoire. Autant d’angles à sa disposition pour un sujet que, sur le plan technique, de montages, de collages, d’assemblages possibles pour confectionner une œuvre qui sera avant tout son regard, sa vision du monde, unique, incessible et différente de toutes les autres. Laissons de côté les vulgaires « 52 minutes » télévisuels, objets artificieux et impersonnels conçus pour flatter l’audience et emballés comme les bons produits marketings qu’ils sont. Non, nous évoquons ici le documentaire de cinéma – indépendant diront certains – c’est-à-dire le cinéma du réel, celui qui consiste pour un auteur à filmer le monde selon sa propre subjectivité, ses perceptions et représentations. Singulièrement c’est par la construction nécessairement subjective donc unique du documentaire – en dehors de tous les carcans d’audience et de rentabilité – que parfois se lève un coin du voile sur la vérité du monde.

 

 

Huis-clos

Dans L’Envers d’une histoire, la jeune documentariste serbe Mila Turajlić nous montre de manière magistrale de quelle façon un regard particulier – donc unique – peut révéler la grande histoire. Cette jeune auteur déjà remarquée par le multiprimé Cinéma Komunisto (2011), a voulu avec son nouveau documentaire retracer l’histoire de la Serbie contemporaine – ni plus ni moins. Pour réussir ce tour de force, Mila Turajlić a posé sa caméra dans un lieu unique et fermé : l’appartement familial où vit sa mère, à Belgrade. C’est l’arrière-grand-père de la cinéaste qui a construit l’immeuble dans les années 20 et, depuis, générations après générations, cet appartement a abrité la famille de Mila. Très vite nous nous rendons compte que l’appartement est un personnage à part entière du film. Il est le dispositif par lequel la jeune réalisatrice va raconter l’histoire de sa mère – second protagoniste du film – et de la Serbie post-communiste. De conversations en conversations prises sur le vif, Mila, profondément déçue par la transition démocratique, interroge sa mère Srbijanka, grande figure publique durant les guerres civiles des années 90 et ancienne secrétaire d’Etat pour le premier gouvernement démocratique post-Milosević, sur son engagement. Il y a une grande force dans ce huis-clos intimiste. L’intime, les petites choses de la vie, la rumeur d’une cage d’escalier, sont toutes ces choses qui font que ce huis-clos lent et prosaïque d’abord, nous émeut. L’émotion qui émane de ces scènes intérieures provient en très grande partie du charisme de Srbijanka. Ingénieure, professeur de mathématiques, mais aussi femme d’intérieur, cette femme crève l’écran. Née en 1946, elle ne s’est jamais exilée, n’a connu que le communisme dans sa jeunesse puis le régime de Milosévic en enfin les difficiles années post-dictature. Quel beau portrait d’une combattante en la personne de sa mère a réussi Mila Turajlić !

 

 

Une histoire exhumée

Cependant, au delà des conversations entre mère et fille, de l’atmosphère paisible que dégage l’appartement, des scènes de repas entre amis, il y a le fracas de l’histoire. La maison étant située dans le centre politique de Belgrade, elle se trouve, d’une certaine manière, au centre de l’histoire serbe. C’est cette idée que la cinéaste va mettre en pratique en insérant de temps en temps dans le film des ruches pris de la fenêtre de l’appartement pendant 10 ans, des films d’archives sur les grandes manifestations qui se sont déroulées notamment dans les années 90 mais aussi des archives sur la guerre des Balkans. Ce sont alors des incursions du temps dans le film mais le lieu où se déroule l’action est toujours le même. Ce lieu qui est porteur, et là est la grande originalité de l’Envers d’une histoire, d’une particularité éminemment symbolique de toute l’histoire tragique de la Serbie au XXe siècle. Ce détail pas du tout fortuit par lequel le film commence, c’est la constatation qu’une partie des pièces de l’appartement ont été condamnées lorsque les communistes l’ont nationalisé après-guerre. Ces pièces inatteignables sont à l’évidence le symbole du morcellement de l’ex-Yougoslavie, des terribles affrontements politiques des années 1990-2000, mais aussi des mémoires. Tout le film sera un cheminement pour comprendre, renouer le fil qui devra conduire à l’unité et à la démocratie. À la fin, comme une note d’espérance symbolique et bien réelle dans un même mouvement, les portes s’ouvrent enfin…

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Durée : 100 mn


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