Un temps, il fut presque à la mode de défendre Tony Scott. Sinon de revoir toute son œuvre (non exempte tout de même de sacrées daubes telles que Top Gun ou Domino) à la hausse, au moins de reconnaître qu’aidé d’un scénario pas trop mal ficelé, d’un casting couillu bien comme il faut, mais surtout porté par un minimum d’envie de faire un film digne de ce nom, un bon entertainment calibré pour les multiplexes, le gars pouvait toucher du doigt une certaine excellence dans le genre du « ciné-clip ». Pas devenir un Welles ou Hitchcock de l’ère des mass médias et de la haute virtualité, hein (Ennemi d’Etat, son chef-d’œuvre, n’est pas à proprement parler une leçon de « mise en scène » au sens classique du terme – il n’y a pas de « scènes », dans les ciné-clips, juste des flux d’images en constante interaction), mais tout de même se révéler le faiseur le plus à même de tenir le cap d’un bon film d’action dopé au « postmodernisme » généralisé.
Le dernier samaritain, True romance, USS Alabama, Ennemi d’Etat, Spy Game… ce n’est pas rien quand même, malgré les tics de filmeur, l’absence de « jeu » de certaines têtes d’affiche, la grossièreté de quelques rebondissements. Même des films pourtant assez mal fichus comme Le fan ou Man on Fire avaient leurs qualités. Déjà vu, Le flic de Beverly Hills 2… non vraiment : Tony Scott a fait moins de mal au cinéma que tous les Michael Bay ou Simon West du monde. Mais voilà, le fait est qu’à la vision de ce consternant remake d’un polar seventies pas mal, la sympathie pour le bonhomme ne suffit plus. Que Travolta fasse un peu de peine, puis agace très vite à recycler les tics de bad boy ayant contribué au retour de flamme dont il fut l’objet dans les années 90 (Pulp Fiction et Volte-Face… Vincent Vega et Castor Troy/ Sean Archer… Tarantino et John Woo… le génie cinéphage et l’exilé momentanément inspiré : tu m’étonnes que ça l’ait fait !), bon. Que Denzel ne fasse ici davantage que son Washington, c’est à dire que l’on ait désormais bien du mal à attendre quelque variation dans son jeu pourtant béton, toujours très « ouvert », à la rigueur… Que le scénariste de l’objet soit Brian Helgeland, jadis plutôt inspiré pour Richard Donner (Complots), Curtis Hanson (L.A. Confidential) et même Eastwood (Mystic River)… ici « auteur » d’on ne sait finalement pas trop quoi, ça commence à faire mal. Mais alors que James Gandolfini, rien moins que l’inoubliable Tony Soprano, soit relégué au sous-emploi d’un Maire de New York un peu bouffon, voilà chose intolérable.
En l’état, L’attaque du métro 123 n’est autre chose qu’un sacré navet, stérile, bête, étrangement daté (le film aurait été conçu en 1986, on n’aurait pas vu la différence). Irrite particulièrement la manière dont Scott, manifestement peu concerné par son sujet pourtant riche en potentiel dramaturgique (prise d’otage en plein subway, mise à mal du trafic souterrain, tentatives de sauvetage en territoire sous éclairé…), s’amuse à faire ainsi joujou de l’Image, encore elle, toujours elle. Qu’importent ici la ville, les bureaux, les corps circulant ici ou là, non non : pour l’auteur présumé du film, rien de plus stimulant que la fière exhibition de ses lointaines expérimentations sur les teintes, les reflets, les ralentis… Un cinéaste comme Michael Mann n’est pas non plus à l’abri de cette frontière entre posture d’esthète et profonde interrogation sur les divers degrés de consistance des figures (cf les sublimes scènes de fusillade, en pleine rue comme en forêt, diurnes comme nocturnes, des fantômes à chapeau de Public Ennemies). Mais, que l’on soit sensible ou non à son style, ce dernier gagne à faire de chaque nouveau film l’occasion d’une mise en doute comme d’une confirmation des possibles du visuel. Chaque teinte, reflet, ralenti contribue à l’attestation d’un geste d’art, d’une volonté de voir et de montrer ces lieux et ces corps comme cela et pas autrement.
Tony Scott était-il animé des mêmes ambitions, du temps de la réalisation d’Ennemi d’Etat, de Spy Game ? La tenue esthétique et rythmique quasi infaillible de ces films était-elle due à la seule valeur de départ de synopsis de fer sur lesquels l’homme n’avait plus qu’à s’appuyer ? Ou, hypothèse plus plausible au vu de l’évident je-m’en-foutisme transparaissant de chaque plan de cet Attaque du métro 123 : entre Tony Scott et ses images, résidait encore un accord implicite, une concordance, sinon proprement « artistique », tout du moins technique. Comme dépossédé de sa propre joie de filmer, c’est au triste spectacle d’une démission au travail que nous assistons donc au final.