De Philippe de Broca, on retient souvent ses films à spectacle, peuplés de héros virils et intrépides : Cartouche, L’Homme de Rio et Le Magnifique avec Jean-Paul Belmondo, L’Africain et Chouans ! avec Philippe Noiret ou encore Le Bossu avec Daniel Auteuil. Mais peu de gens conservent le souvenir de ses premiers longs métrages. Dans un registre tout à fait différent – les comédies romantiques –, De Broca explore pourtant déjà ce qui constituera le fil rouge de sa filmographie naissante : la quête de l’aventure.
Chaînes conjugales, rêveries partagées
Parmi ses premiers films, on compte une perle, aussi tendre qu’elle est rare : L’Amant de cinq jours. Son résumé pourrait l’apparenter au vaudeville tant l’œuvre multiplie les amours contrariées. Antoine (Jean-Pierre Cassel) aime à la fois Claire (Jean Seberg), épouse de Georges (François Périer), et Madeleine (Micheline Presle) ; bien qu’elles soient les meilleures amies l’une de l’autre, Claire et Madeleine se cachent mutuellement l’identité de leur amant, ignorant ainsi qu’elles aiment le même homme ; Georges, époux tranquille passionné par son métier d’archiviste, ignore naturellement ce qu’il se passe autour de lui. Pourtant, L’Amant de cinq jours n’a rien de grotesque. Rares sont les situations où l’un·e des amant·es découvre le pot aux roses, si ce n’est le dernier tiers du film, qui penche plus vers le drame que le rire bouffon.
En vérité, dans la France gaullienne des années 1960, Philippe de Broca met en scène l’adultère et l’inconstance non pas pour les blâmer – que ce soit par le rire du vaudeville ou l’ironie tragique de Madame Bovary –, mais pour en révéler leur raison d’être : fuir la routine. Dans ces chaînes conjugales entremêlées, chacun cherche en l’autre de quoi alimenter ses propres rêveries : Antoine guette les femmes riches pour dépenser leur argent à loisir et s’éviter un emploi pénible ; Claire rêve de quitter Paris pour s’installer dans une petite maison à la campagne, entourée de roses ; Georges, féru d’anecdotes historiques, s’improvise guide touristique passionné ; et Madeleine, grande couturière toujours au travail, n’attend que le weekend pour se reposer auprès d’Antoine.
Du parfum de l’aventure au cœur du quotidien
Avec une grande tendresse et un immense respect pour ses acteur·ices, dont il laisse pleinement s’exprimer le jeu virtuose au moyen de plans serrés, nimbés d’un sublime noir et blanc, le réalisateur insuffle ainsi de grands élans lyriques et romanesques au milieu du quotidien le plus banal. Sans être aussi spectaculaires que ses futurs films de cape et d’épée, nombre de scènes de L’Amant de cinq jours hument le parfum de l’aventure et gardent en même temps leur enracinement dans la routine ordinaire. La faconde des acteur·ices y joue pour beaucoup. Ainsi, au cours d’une virée dominicale à Chantilly, Georges se lance dans une longue tirade, faisant revivre les spectres du Grand Siècle ; Antoine, vainqueur au tiercé, emmène Claire dans une nuit de folie dépenser tous leurs gains en restaurants, alcools et concerts privés ; tandis que Madeleine, à la vengeance froide, se plaît à réunir tout ce beau monde dans un salon dont elle tire les ficelles.
Mais l’usure gagne aussi l’aventure. À force de fréquenter les mêmes personnes, à force de les rêver à son image plus qu’à les écouter pour elles-mêmes, s’estompe la rêverie. Alors, par désir du désir, pour ne pas sombrer dans le mortel ennui de la répétition, les chaînes conjugales, une à une, se délient. Ne reste plus qu’à tout recommencer, avec un autre.