Albert Bacheret est un père dévasté par la disparition inexplicable de sa fille de huit ans. Alors que la police semble incapable de résoudre l’affaire, il décide de mener sa propre enquête et reçoit l’aide inattendue de Sayoko, une énigmatique psychiatre japonaise exerçant dans un institut parisien. Ensemble, ils kidnappent des responsables du “Cercle”, une société secrète qui, sous couverture humaniste, enlève des enfants dans le cadre d’un trafic humain et corporel. Mais chaque nouvel indice mène à un nouveau suspect qui présente toujours une version différente des faits…

Kiyoshi Kurosawa nous convie à une relecture de son film Le Chemin du serpent (1998), en réutilisant, certes, la même trame, mais en la plaçant dans un continent, une technologie, et une institution différentes du film matrice. Tourné en Ile-de-France, avec un casting majoritairement français, La Voie du serpent semble marquer dans sa première partie un pas dans le filmage expérimental, voire godardien, que Kurosawa effectuait dans ses longs-métrages antérieurs, notamment au niveau de la pixellisation et de l’image (des images), mais la progression du récit et de la technique utilisée par le cinéaste et des personnages nous invitent à reconsidérer notre point de vue initial (la caméra vidéo datée utilisée par le protagoniste, le snuff movie à la définition saturée).
Une nouvelle fois, et, avouons-le, pour notre plus grand plaisir de cinéphile et d’amateur du réalisateur de Kairo, nous sommes placés dans une histoire glauque, ambiguë, labyrinthique. Antoine, un journaliste (Damien Bonnard), et Sayoko, une psychiatre japonaise (Kō Shibasaki) kidnappent un homme (Mathieu Amalric) pour le séquestrer. Ils lui passent ensuite la vidéo d’une fillette âgée de 8 ans, enlevée, puis dépecée, et dont le corps fut retrouvé une semaine plus tard : cette enfant est la fille d’Antoine, père anéanti qui lit, le procès-verbal (prenant la valeur d’un acte accusation) du crime commis sur la jeune fille. Nous comprenons alors que cette mise en scène matérialise iconographiquement et verbalement une recherche des coupables, ainsi qu’une vengeance. Outre le premier prévenu, deux autres individus subiront en outre ce dispositif, cette mise à la question, selon un processus devenant rituel : des accusés devant se placer dans un sac de couchage, transportés dans le coffre d’une voiture, puis enchaînés dans un entrepôt désaffecté de la région parisienne, où Antoine montrera quotidiennement la vidéo de sa fille en lisant le texte culpabilisateur-accusateur. L’aspect itératif de cette partie du film permet d’apprécier non seulement le comportement des suspects (Amalric, Colin, et Dazi, en peine possession de leur jeu et de leur personnage), mais aussi celui des justiciers : Bonnard en père meurtri, quoiqu’ étrange, et surtout, Ko Shibasaki, exceptionnelle en sa détermination et son mystère. Impavide, impassible, finalement intense par les secrets que nous devinons en elle.

Kiyoshi Kurosawa nous emmène dans un réseau parfois abstrus d’implicite mâtiné de révélations, un labyrinthe de suppositions, un entrelacs esthétique, par le choix des lieux (institut médical sans âme, forêt où des corps sont transportés, appartement sans vie hormis l’aspirateur dernier cri, hangars ou entrepôts abandonnés matériellement, comme humainement), espaces symboliques de la déshumanisation, de la folie et de l’horreur, ou par le cadrage, fréquemment distant (plans moyens, plans généraux). Certaines scènes emportent notre adhésion sans férir, telle la multiplicité des écrans disposés dans la dernière partie du long-métrage et dévoilant une information cruciale : une mise en abyme cinématographique kurosawaienne, comme une installation vidéo digne d’un lieu d’art contemporain. Le réalisateur nous interroge sur les notions de mal, de cruauté, de dissimulation, de regards, face aux autres et à nous-mêmes. Les dernières minutes, à cet effet, nous exhortent à revoir La Voie du serpent, en nous posant moults interrogations sur la monstration d’une partie de la vérité et de la réalité des faits et propos tenus par les personnages de ce thriller composé comme une tragédie.
Film à la progression visuelle et narrative en gradation constante (la seconde partie excelle en ce sens), œuvre unissant deux moments filmographiques de son auteur (de l’horreur 90’s à l’implicite tendance 21ème siècle), La Voie du serpent trace en nous, de manière insidieuse, un questionnement sur l’absence de communication, l’inhumanité, et surtout nos rapports avec le cinéma.




