Le film est en partie crypté, comme le suggèrent les intertitres un peu hermétiques qui le scindent en deux : J’ai gardé les anges et Le Feu aux poudres. En fait La Jalousie est rempli d’échos de la propre vie du réalisateur, ou plutôt de celle de son père, Maurice Garrel, qu’interprète son petit-fils Louis. Ces télescopages très intimes, garants d’authenticité, pourraient amplifier le caractère universel du film au-delà de sa dimension particulière. Mais il n’en est rien. Le spectateur se sent cantonné à la périphérie de ce long métrage distancié et poseur, qui avec ses 1h17 au compteur paraît presque longuet. Certes le récit est simple mais semble parfois compliqué à l’écran, ou du moins décousu, sans doute en raison de discontinuités de ton intervenant de scène en scène. L’attention du spectateur est captée le temps d’une séquence – ne serait-ce que toutes celles articulées autour de Charlotte – mais la suivante semble souvent rabattre les cartes, et insensiblement le film se disperse, se dilue dramatiquement. Le fait que pas moins de quatre scénaristes soient crédités au génériques n’y est certainement pas pour rien.
A vrai dire, il n’y a que les corps, les visages des acteurs et surtout des actrices, pour donner un semblant de continuité au film. On peut en effet être sensible à l’attention poignante prêtée à ces corps en mouvement et à leurs regards, et surtout à la très belle photographie en noir et blanc, distillant ses contrastes d’ombres et de lumières dans un format cinémascope qui donne une ampleur mystérieuse, un peu onirique, aux lieux les plus banals et exigus, compensant en partie le statisme paresseux de la caméra. Mais ce n’est pas cette texture presque onirique, plutôt le prosaïsme qui gagne le film, mêlé à la sensation d’être pris au piège d’une mise en scène à la fois maniériste et poussiéreuse – sensation d’étouffement sans doute proche de celle de Claudia lors de cette séquence assez forte où elle se rebelle contre la sclérose affectant aussi bien l’appartement de Louis que leur vie commune. Le film sortirait totalement atrophié d’un tel dispositif si ne surgissaient de temps à autre de beaux moments isolés et ténus – des visages désemparés que viennent éteindre des fondus au noir, ou le personnage de la fillette. Ce n’est pas rien, mais largement insuffisant pour sauver l’ensemble de cette platitude compassée où depuis trop d’années s’embourbe le cinéma de Garrel.