Jusqu’à la Garde

Article écrit par

A l’occasion de son triomphe aux César 2019, retour sur « Jusqu’à la garde ». Justesse des acteurs et intelligence de la mise en scène : une expérience glaçante, un film puissant.

Les Besson divorcent. Miriam (Léa Drucker) réclame la garde exclusive de leur fils Julien (Thomas Gioria). Quant à Joséphine, bientôt majeure, ce sera à elle de décider si elle souhaite vivre avec sa mère ou avec « l’autre », comme elle le nomme. L’autre c’est Antoine (Denis Ménochet), bien décidé à voir son fils une semaine sur deux malgré le refus affiché de ce dernier et malgré les accusations de violence portées à son encontre. Le divorce, les violences conjugales… un énième film à message attendrait donc le spectateur au tournant. Excepté qu’il n’en est rien. Débutant à la manière d’un drame naturaliste, le premier long métrage de Xavier Legrand a vite fait de virer au thriller, voire au film d’horreur qui terrifie beaucoup plus qu’il ne pontifie.

Dura lex sed lex

La séquence d’ouverture, en même temps qu’elle rend inexorable le drame à venir, instille un doute qui bouscule sans toutefois tomber dans la manipulation de spectateur. Le premier quart d’heure voit en effet l’audience du couple devant une juge, entouré de leurs avocates respectives : la juge lit la lettre de Julien exprimant son refus de voir son père, les avocates déclinent les revenus et la situation de leur client, la violence du mari est évoquée pour être sitôt remise en cause par la partie adverse. Miriam est aussi tendue qu’Antoine semble absent à lui-même et aux autres, chacun affirmant seulement vouloir le bien des enfants avant tout. De ce couple, figurant de son propre divorce, on ne connaît pour l’instant que ce que les autres en disent, comme on se fierait aux témoignages des voisins au lendemain d’un quelconque fait divers. Peut-être Miriam exagère-t-elle, peut-être qu’Antoine n’est pas aussi violent que cela. Après tout, la garde alternée lui est accordée. Mais à mesure que le réalisateur quitte ce point de vue extérieur – celui des faits et des preuves – pour entrer dans le quotidien de cette famille brisée, la tension ne cessera de monter, nous prouvant combien nous avions tort de douter…

Sueurs froides

Le film se resserre alors, autant au niveau de la narration que de la mise en scène, sur Julien, onze ans, ce fils au centre de la crise. Isolé à plusieurs reprises en gros plan ou filmé à l’ombre écrasante d’un père inquiétant, c’est d’abord par lui que passe cette peur diffuse qui s’épaissira au fur et à mesure. Et pour exprimer cette crainte omniprésente, Xavier Legrand use de moyens aussi simples qu’efficaces. C’est d’abord le corps massif d’Antoine, et son regard tantôt vide tantôt agressif, qui souffle le chaud et le froid en permanence. Et on ne sait plus si c’est pour l’étouffer ou l’étreindre qu’il enlace Miriam. Mais la menace s’exprime surtout par le biais de la bande-son. Le bruit de la fermeture automatique des portières, la sonnerie d’un interphone, des coups frappés à une porte, une fluctuation dans la voix, une dispute qui éclate hors-champ, tous les sons renforcent cette sensation de menace omniprésente qui réduit, à chaque fois un peu plus, la liberté de mouvement des personnages. Comme si l’issue était prévisible depuis le départ sans que personne ne puisse rien y faire. La violence est en latence dans chaque plan du film, jusqu’à ce qu’elle éclate finalement dans une dernière séquence proprement terrifiante. Impossible d’oublier de sitôt la peur ressentie face à ce film.

Titre original : Jusqu'à la garde

Réalisateur :

Acteurs : ,

Année :

Genre : ,

Pays :

Durée : 93 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…