High life

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Tabou.

Monte et sa petite fille Willow sont les seuls survivants d’un vaisseau fantôme engouffré dans les ténèbres infinies du cosmos. Le néant que convoque High Life a ceci de déconcertant qu’il n’offre à première vue aucune échappatoire. En se voulant à la fois objet à fuir et à poursuivre, il piège en étau cette sorte de cargo rectangulaire mené hors du système solaire. Objet à fuir, puisque rien ne semble donner envie à Monte de revenir sur Terre – les seules images qui en sont renvoyées sur un écran brouillé ne sont pour lui que des parasites. Objet à poursuivre, car voguant sans but dans le noir cosmique. Et ce vide est d’autant plus palpable que le vaisseau évidé indique un « avant » qui précède cette survie à deux, « avant » auquel, sans rien en savoir, on ne peut se raccrocher. Dans ce terrifiant gouffre noir où père et fille vivent encore, le malaise est immense. Claire Denis fait déjà planer sur le film un présage inéluctable. Que doit-il advenir de deux êtres perdus pour toujours dans l’univers ? Dès la première scène, où Monte répare le vaisseau, le cri de sa fille perce l’obscurité et lui fait lâcher son outil qui se dissipe sous nos yeux en se faisant engloutir par le trou noir. Ce qui permet à Monte de ne pas se laisser dévorer comme lui, son point d’accrochage, c’est Willow justement, qui l’attend dans le vaisseau, et avec laquelle il communique par radio interposée. Alors qu’il la rassure, le bébé gazouille les syllabes du premier mot que son père lui apprend : tabou. Tout ce qui adviendra ensuite, à savoir les souvenirs ressuscités de Monte, n’est qu’un centrifuge, un prétexte à s’éloigner pour révéler ce qui vient d’être installé. Le recours aux souvenirs n’offre pas plus de solutions au néant. On y apprend que ce qui les transporte est un vaisseau carcéral dont l’équipage, des prisonniers condamnés, a accepté une mission de non-retour : rejoindre un trou noir pour y puiser son énergie rotationnelle.

On sent bien que le huis-clos est un prétexte pour sonder les êtres, que le cosmos invite tant à la réflexion existentielle, qu’à une liberté évènementielle. Tout ce qui investit l’écran est un déchaînement énigmatique de fantasmes et de cauchemars, servant à annoncer la relation centrale et tout aussi énigmatique qui lie un père et sa fille. Un gros délire exalté et froid où des figures mythologiques revisitées – Juliette Binoche en doctoresse/sorcière prélevant le sperme, jeunes nymphes inséminées, centaures excités – cartographient le besoin fondamental de reproduction, généré par le crime originel et proscrit à bord, alors que l’évocation d’un jardin d’Éden invoque le retour au charnel. L’alliance froide du godemichet en métal avec le corps, scène diabolique où la druidesse s’élance dans une sorte de gymnastique érotique, avec échappement du fluide séminal par une machine, ne sont que fantasmes lubriques déviés par l’empêchement d’union entre les sexes. De l’interdit découle un délire qui n’a vocation que de renvoyer au même thème du trou noir, cette zone indécise de l’inceste. Qu’il s’agisse du trou noir de leur mission, du baisodrome obscur, et même de ces trous noirs temporels que Claire Denis survole en faisant opérer des bonds à une temporalité déglinguée qui ne suit plus celle de la Terre. Tout ce que Monte traverse, voit, rencontre, n’est qu’un tissu cousu de cet interdit. Ainsi lorsqu’il pénètre dans le vaisseau voisin, investi de chiens enragés, il y rencontre sa propre brutalité. Regagnant son cargo (qu’il avait quitté après que sa fille lui ait demandé s’il la trouvait jolie) il dépasse l’étape de l’acceptation. Et en refusant d’y ramener un chien, il ignore tout à la fois l’agressivité susceptible de se greffer. C’est la fin du cauchemar. Père et fille brisent les lois de la nature dans une douceur inouïe. Ils quittent l’espèce d’ovocyte noir autour duquel gravitent des étoiles frétillantes pour un nouveau système. Une fente lumineuse, inconnue, vers une nouvelle vie dans les airs.

High Life, Claire Denis, 2018

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Durée : 110 mn


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