Guerrière

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À contre-courant : néo-nazisme en bord de mer.

Le réalisateur allemand David Wnendt attaque fort avec son premier long métrage. Il s’impose dans un cinéma allemand jamais guéri de ses anciens démons, qui continue d’interroger son histoire et sa société à travers ses films. Après Barbara de Christian Petzold, récompensé en 2012 par l’Ours d’or lors de la Berlinale pour son ambiance froide et mutique dans une Allemagne de l’Est communiste, Guerrière a lui obtenu aux Lolas (l’équivalent des Césars en Allemagne) les distinctions du meilleur scénario, de la meilleure interprétation féminine et le Lola de bronze du meilleur film. Mais avec ce film, ce n’est pas le prisme historique du passé sulfureux de la société allemande qui intéresse David Wnendt, il préfère partager le présent de ses contemporains. Guerrière aborde le sujet du néo-nazisme au cœur d’une bande de jeunes adultes sur la côte nord germanique. Un sujet qui fait écho aux montées de l’extrême-droite tant en Allemagne que dans le reste de l’Europe.

La mer apparaît à l’ouverture de Guerrière et constitue également le dernier plan du film. Ses vagues se forment sous la domination du courant, un courant lui-même soumis à des perturbations : il peut être changeant, devenir venimeux, violent, aller jusqu’à contre-courant en s’opposant, en luttant. Marisa, l’héroïne de 20 ans, la « guerrière » du film, évolue dans un environnement façonné par la mer. Elle est à l’image de ces vagues modelées et emportées par le courant. Et le sien est celui de l’esthétique néo-nazie, qui la façonne avec sa bande d’amis. C’est un courant qui veut combattre des maux de la société qu’il clame et vocifère. Il s’infiltre tant sur les corps à coup d’aiguilles, pour y distiller l’encre de tatouages haineux, que dans les esprits, parfois jeunes, violentés ou en manque d’affection, parfois plus complexes mais souvent en recherche d’ailleurs, d’autre chose ou encore d’une raison de vivre. Marisa observe les vagues au début comme à la fin du film, qui exécute durant toute sa durée un flash-back entre ces deux moments. Elle est accompagnée des cris crispants des mouettes et d’une voix off, qui installe immédiatement le spectateur dans l’atmosphère avant de le laisser partir, le poids de la réflexion insufflée par le film sur les épaules.

 

Avec Guerrière, David Wnendt, après plusieurs années de recherches documentaires, livre ce qui lui semble être le plus proche du quotidien de jeunes ralliés au néo-nazisme. En filmant crûment, avec une photographie assez froide, il installe le malaise et les tensions. La musique rend également la violence palpable, copiant celle des groupes de rock néo-nazis mais composée uniquement pour le film, afin de ne pas être mêlé concrètement à eux. David Wnendt crée une atmosphère pleine d’oppression, d’essence et d’alcool, où il suffit de jeter une allumette pour tout faire flamber. Le rythme du montage alterne entre montée d’adrénaline – comme la scène d’attaque dans le train, filmée en partie au téléphone portable, ou la virée en voiture du groupe – et la morne lenteur du quotidien – qui transparaît dans les rencontres désœuvrées entre les jeunes ou dans l’épicerie familiale presque vide où travaille Marisa. C’est d’ailleurs là qu’elle rencontre pour la première fois Rasul et son frère, deux immigrés afghans, sur lesquels elle crache son venin. La haine dans le film est omniprésente, elle excite les corps, qui la transpirent à grosses gouttes par tous leurs pores.

Alina Levshin, qui incarne Marisa, est époustouflante dans ce rôle, sachant faire émerger tant l’agressivité chez son personnage que ses quelques faiblesses et failles, dévoilant son caractère ambivalent, ses hésitations ou son amour logés sous sa carapace. Elle est capable de donner corps à la violence quand Marisa effraye les étrangers et de révéler la tendresse enfantine que cette jeune adulte a encore enfouie en elle, dès qu’elle visite son grand-père malade. Marisa est une figure fière, déterminée et provocante. Elle soutient une idéologie misogyne où elle veut pourtant se faire une place. Guerrière, elle perce l’écran et rend ce film percutant. Il devient comme les tatouages que les personnages ne peuvent enlever, seulement cachés parfois par un pansement, car il appose une marque indélébile sur le spectateur.

Titre original : Kriegerin

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Durée : 100 mn


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