Camille redouble est encore une fois d’une grande intelligence, et une merveille d’écriture. Le pitch fait pourtant plutôt peur a priori. Camille (Lvovsky, donc) a quarante ans et quelques, boit beaucoup trop de whisky et se sépare de son mari, son amour de jeunesse dont les années ont eu raison. Soir de réveillon, Camille est ivre, elle vient de faire remonter une vieille montre que ses parents lui avaient offerte le jour de ses 16 ans. Douze coups de minuits, ding dong, elle s’évanouit et se réveille à l’hôpital, dans son corps de quadra mais à l’époque de ses seize ans. Son père et sa mère viennent la chercher (alors qu’ils sont morts depuis longtemps), la ramènent à la maison. Tout est comme avant, elle retrouve son lit rose d’adolescente, la moquette et les lambris au mur, les posters de Gena Rowlands. Retourne à l’école, revoit ses copines (qui la perçoivent telle qu’à 16 ans) et rencontre à nouveau son futur mari, lui aussi dans sa peau d’aujourd’hui, mais qui ne la reconnaît pas, retombe amoureux d’elle.
L’argument est potache, un rien casse-gueule. Pendant vingt minutes, on voit surtout Lvovsky s’ébrouer dans ses fringues de l’époque, s’amuser d’être collée en classe et faire ressurgir le Walkman cassette. C’est drôle, parce que c’est elle, parce qu’elle cabotine mais qu’elle dispose d’une des plus grandes finesses de jeu du cinéma français. Mais on se demande quand même un peu comment elle va tenir ça sur la durée. Elle le tient, finalement, et drôlement bien. D’abord parce qu’elle sait faire surgir la plus bouleversante émotion au cœur même du rire franc, et vice-versa. Dès que l’un menace de se faire trop présent, l’autre revient au galop, comme dans cette séquence, fabuleuse, où elle écoute avec un professeur de physique qu’elle prendrait bien pour amant la chanson de Barbara, "Dis, quand reviendras-tu ?" Trente secondes de musique, et le futur ex-mari entre dans le champ, lui dit qu’il s’en va, qu’il ne reviendra plus, justement. Se prend sur la porte sur le chemin de la sortie.

Elle est aidée par toute sa bande de potes acteurs, tous parfaits, qui ont bien voulu venir faire les trublions devant sa caméra. Podalydès en prof de physique grisonnant donc, mais aussi Amalric en prof carrément pas sympa, Anne Alvaro, Ryad Sattouf en metteur en scène colérique. Elle n’a qu’à demander, ils exécutent leur numéro sur demande, et sur mesure. On retrouve un peu de leur cinéma à eux tous, d’ailleurs : on pense aux Beaux gosses, fatalement ; à Dieu seul me voit ; et, ailleurs, un peu au Todd Solondz de l’époque Bienvenue dans l’âge ingrat.
Plusieurs fois dans le film, Camille n’arrive pas à se débarrasser de sa bague de fiançailles. Eau et savon, rien n’y fait ; elle ne se résout pas non plus à la sectionner. Plus tard, quand son mari version eighties s’étonne qu’elle la porte (lui pense qu’il vient de lui offrir), elle lui répond : « Je la porte parce que je t’aime, parce que je n’aime que toi ». La réplique est finalement moins pour lui que pour elle-même. « Je veux bien réessayer l’amour avec toi, mais sans promesse, et sans illusion. Oui, sans illusion. » Lui ne sait pas très bien ce que ça veut dire, réessayer, alors qu’il essaye toujours de l’avoir pour la première fois. Camille redouble est bel et bien une comédie ; la nostalgie n’est jamais loin. Et l’on comprend que si Camille/Noémie est désillusionnée, elle ne cessera jamais vraiment d’y croire.

Le Cronenberg, lui, nous ramène bien à la Croisette. Le temps d’assister à la séance de Cosmopolis, et le ciel s’est à nouveau couvert. L’orage menace, comme pour tenter de pousser les festivaliers vers la sortie. Tout le monde fatigue, ceux qui restent jusqu’au palmarès dimanche jalousent ceux qui partent demain, à la fin des projections.
Je reviens une minute sur le Cronenberg, à la première personne intentionnellement, puisque Fabien a vu le film à tête reposée à Paris, et le chronique plus longuement pour ce week-end. Cosmopolis poursuit le sillon creusé par A Dangerous Method l’an passé : même dénuement de l’action, même jeu d’acteurs quasi théâtralisé, même aspect clinique qui laisse la part belle au langage, dans de longues tirades qui ne sont pas sans rappeler par instants le Carax. Ici aussi, une limousine glisse dans la ville le temps d’une journée, et un golden-boy (Robert Pattinson) enchaîne les rendez-vous, tente de comprendre pourquoi il a mal évalué le cours du yuan. Ultra-moderne solitude, il aimerait bien ressentir quelque chose, quitte à se tirer une balle dans la main, à tuer son sbire pour voir ce que ça fait ou à demander à une maîtresse de le shooter au Taser, « à la puissance maximale possible. » C’est beau formellement, constitué de longs travellings aériens ; c’est aussi assez statique, bavard et abscons. Un peu trop ouaté pour moi, en fait, pour une fin de Cannes.

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