Festival de Cannes 2012 – Jour 4 : All is love

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On fait beaucoup la queue, le week-end à Cannes. Et on n’entre pas toujours aux projections. Mais on a vu « Amour », le nouveau Haneke.

4e journée de festival, De rouille et d’os semble si loin, il pleut inlassablement, le vent bat la Croisette. Trois films de la compétition officielle au programme aujourd’hui : Amour, le nouveau Haneke ; In Another Country, dernier Hong Sang-Soo, alors que vient juste de sortir en salles The Day He Arrives ; et le Kiarostami, Like Someone in Love. Pour l’instant, impossible de voir le Hong Sang-Soo : trop de monde, trop petite salle. Mais on retente, on refait la queue pour la deuxième fois pour la séance de 15h. En revanche, on a vu Amour, après quatre heures de sommeil, dans un Grand Théâtre Lumière comble à 8h30 un dimanche matin, le genre de défi que Cannes donne envie de relever. Le film est immense.

Première occurrence fortuite, le Haneke partage le même titre que le Seidl. Deuxième rapprochement possible, tous deux sont l’œuvre d’un Autrichien. On s’arrêtera là, puisque les films n’ont rien à voir, tant mieux, et que dans Amour, il est pour le coup vraiment question d’amour, alors que Seidl manie bien le sarcasme étymologique. Michael Haneke a ici écrit spécialement pour Jean-Louis Trintignant, et on se demande pourquoi le cinéma le fait si peu tourner depuis quelques années, tant son jeu est subtil et puissant. Face à lui, Emmanuelle Riva, qui émeut aux larmes dès qu’elle paraît à l’écran : derrière ses traits d’aujourd’hui, on se prend à chercher ceux qu’elle avait à l’époque d’Hiroshima mon amour. Trintignant et Riva sont Georges et Anne, octogénaires encore amoureux, anciens professeurs de piano qui aiment Schubert et Chopin. Un matin, Anne a une attaque : c’est le début du déclin, et de la mise à l’épreuve de leur relation.

Comme dans Antiviral hier, Amour est, entre autres, une façon d’observer la déchéance du corps. Membres paralysés, jambes qui ne veulent plus avancer, élocution de plus en plus incertaine : le corps d’Anne ne veut plus, ne peut plus. Il faut les soins d’une infirmière trois fois par semaine, à domicile, puisque Georges lui a promis de ne plus jamais lui faire subir l’hôpital ; il faut la doucher, lui faire travailler sa mobilité, lui changer sa couche. « C’est une humiliation, pour elle comme pour moi », raconte Georges à Eva, leur fille (Isabelle Huppert, toujours), qui ne comprend pas très bien pourquoi il ne faut pas en parler. Là où Antiviral montrait le corps qui se dégradait par choix, Amour scrute le corps qui se détériore du fait de la vieillesse. C’est troublant, c’est fort, on jurerait n’avoir jamais vu la vieillesse filmée auparavant. Amour ne bouleverse pas par un thème novateur ; il chavire parce qu’il semble être, comme nous, à la découverte de ce que c’est. Comme si Michael Haneke lui-même se confrontait à ce qui pourrait peut-être un jour l’attendre.

Pour la première fois ou presque, un film du cinéaste autrichien est doux, lumineux dans sa noirceur même. S’il ausculte bien les coups durs qu’inflige la maladie à un couple (l’aigrissement, la méchanceté gratuite pour se soulager), Amour est incroyablement tendre et bienveillant avec ses personnages. Georges est là pour Anne, inlassablement. Il fatigue parfois, peut s’emporter plus facilement qu’auparavant, mais il reste. Il demande juste à ses proches de ne pas en parler. « Il n’y a rien d’intéressant à dire, rien qui ne puisse nous aider ». Et préfère aborder la musique, échanger sur le dernier concert vu au théâtre des Champs-Elysées, la manière de jouer une bagatelle. Entre Georges et Anne, qui bientôt ne peut plus parler, il reste les souvenirs, les menues anecdotes qu’on ne s’est encore jamais racontées. Idée sublime que celle d’avancer qu’après soixante ans de relation, l’autre possède toujours son jardin secret, que le dialogue, jamais, ne s’épuise. Les mots s’économisent, pas l’affection et l’intérêt portés à l’autre. L’humour, non plus, n’est jamais loin du film de Haneke : là aussi, c’est une première. En témoigne cette scène, renversante, où Georges raconte ironiquement et par le menu l’enterrement épouvantable d’un ami auquel il vient d’assister, les speechs terribles et gênants. Anne lui rétorque qu’il faut bien y aller, et "qu’est-ce que tu dirais, toi, si personne ne venait à ton enterrement?" "Rien, sans doute".

Enfin, Amour dit combien une relation si longue se forge aussi autour d’un appartement, d’un chez soi commun. Georges et Anne aiment écouter leurs disques Deutsche Grammophon dans le salon, peuvent rester assis l’un à côté de l’autre sans rien dire ; le piano à queue trône au milieu, on n’y touche plus, c’est pourtant la pièce maîtresse de la maison. Dans la cuisine, on fait la vaisselle en musique, on petit-déjeune, on se redit les détails de journées communes, on se remémore la vie passée, « cette vie si longue », cette vie passée à s’aimer. « C’était bien, non ? », demande Anne à Georges. Oh oui, c’était bien, c’était si bien. Michael Haneke signe un grand film sentimental, jamais sentimentaliste. Vu d’ici et à ce stade, on lui donnerait bien la Palme.

Sinon, on n’a toujours pas réussi à voir le Hong Sang-Soo : trop de badges roses et bleus devant nous, trop de festivaliers qui voulaient voir Huppert dans un autre pays. Du coup, on va aller faire la queue pour le Kiarostami très très en avance, et essayer d’en parler demain. Après le Resnais qui, encore une fois, va nous aider à convaincre notre réveil de nous lever aux aurores.

19h55 – je rajoute un mot, même si je préfère parler des films, et uniquement des films. Pour la troisième fois de la journée, il a été impossible de rentrer pour la projection du Kiarostami – apparemment, le week-end, c’est vraiment compliqué. Une heure et quart d’attente pour rien, à nouveau, et sous une pluie battante. Il faut vraiment aimer le cinéma.

Journées précédentes :
Festival de Cannes 2012 – Jour 1 : Trouver son rythme
Festival de Cannes 2012 – Jour 2 : Les amours contrariées
Festival de Cannes 2012 – Jour 3 : Toute première fois


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