Cut-Ups (2010) Collage numérique réalisé par Gus Van Sant à partir de Polaroids. Crédit : Gus Van Sant
Ce sont des portraits photographiques, des photo-montages intrigants, desquels se distinguent, isolés par des cloisons, deux petits pans de mur rassemblant une multitude de polaroids représentant des visages, plus ou moins connus, d’acteurs, d’amis, réalisés par Gus Van Sant. Cette focalisation sur la pratique photographique de ce dernier trouve ici son sens et sa valeur, à la fois par la qualité sensible de ces portraits que par ce qu’ils disent sur son oeuvre, sur ses motifs. D’une jeunesse – particulièrement masculine – qu’il a photographiée majoritairement et que l’on retrouve dans ses films (les Keanu Reeves, Matt Dillon, River Phoenix qui marquent l’ensemble de sa filmographie). A ce titre, ce souffle de jeunesse d’outsiders représentés ici s’accommodent plutôt mal du sacro-saint cube blanc. Si ce dispositif montre encore aujourd’hui sa pertinence, sa beauté et ses atouts dans une majorité d’expositions muséales, il laisse ici une sensation mitigée dans la mise en valeur des œuvres de Gus Van Sant.
L’ensemble du parcours permettra d’en attester : l’exposition est conçue par médium. Un espace pour la photographie, un autre pour la peinture (d’assez pauvre qualité), un encore pour la musique. A l’instar de la scénographie clinique, cette répartition échoue à montrer au contraire dans quelle mesure l’œuvre de Gus Van Sant trouve sa sensibilité dans une mobilisation de l’ensemble de ses sources réunies, tant plastiques que sonores. Le survol global de son travail cinématographique accentue encore davantage cette faiblesse de choix curatorial. Il y a un grand décalage entre le texte profus, riche, qui honore l’aspect composite et la puissance de l’œuvre de Gus Vant Sant, rédigé par Matthieu Orléan sur l’exposition – dont il est également commissaire – et ce que celle-ci donne à voir. Avec pas loin d’une vingtaine de longs métrages à son actif, d’un éclectisme allant d’un remake plan par plan du Psychose (1998) d’Hitchcock au film académique sur fond de politique environnementale Promised Land (2012) en passant par les errances humaines et plastiques de Mala Noche (1985) ou Gerry (2003), où sont les multiples visages de l’œuvre du cinéaste vantés par le commissaire ? Où sentir l’émanation de marginalité héritée d’une contre-culture américaine qui marque son travail ? Certes, on peut voir la petite pépite récitative d’Allen Grinsberg, Ballad of the Skeletons (1977) réalisée par Gus Van Sant et mise en musique par Phillip Glass et Paul McCartney. Ou encore rester fascinés par William Burroughs en prêtre toxicomane dans Drugstore Cowboy (1989) mais en définitive, on reste bien déçus par un accrochage convenu et une exposition qui dissimule tant la richesse de l’œuvre du cinéaste. L’originalité de parier sur la découverte de son travail photographique n’y change rien.
On quitte l’exposition sur notre faim, et l’on se prend à rêver d’un espace scénographique qui aurait pu être tout autre ; de la ville de Portland, grande absente dans ce parcours ; et de cimaises qu’on aurait souhaitées plus accordées à l’espace sourd des campus parcourus, avec leur aseptisation qui sert le corps, ou des paysages profonds de ses films, que l’on aimerait (re)parcourir à sa suite.
Exposition Gus Van Sant – La Cinémathèque Française, du 13 avril au 31 juillet 2016.