C’est un fait : The Expendables, depuis son annonce il y a bientôt deux ans au Marché du Film, n’avait pas pour intérêt la richesse de son pitch (une dictature fantaisiste renversée par des mercenaires fans de moto, si, si, c’est polémique), ni le retour derrière la caméra, pour la troisième fois consécutive, de mister Stallone. Quoique. Notre Monsieur Démolition préféré avait clos un certain nombre de mauvaises bouches à cette même période avec un quatrième Rambo pour le moins définitif, osant une réinterprétation assumée d’un personnage qui ne s’assumait plus comme un tueur d’élite exploité par son pays, mais comme une machine de guerre qui n’obéissait qu’à ses propres valeurs et à son instinct de guerrier, qu’il ne considérait alors plus comme un fardeau. Un changement de perspective logique, justifiant a posteriori une débauche d’effets gore et traumatisants assez estomaquante.
Stallone pouvait-il réitérer pareille réussite, atteindre une même intensité derrière la caméra avec ces Expendables ? On s’en fout. Enfin, surtout les cinéphiles mâles, trentenaires et nostalgiques, à vrai dire. Car ce qui importait avant toute chose, c’était bien évidemment le casting en fer forgé ornant les premières affiches : Sly avait pour idée de tout simplement réunir le gratin du genre « action » dans un seul et même film. Qui aurait pu le faire mieux que lui ? Deux ans plus tard, malgré des défections imprévisibles (de Van Damme à Seagal, en passant par Wesley Snipes, désormais en prison), c’est avec une même larme à l’œil qu’on savoure le générique de début de The Expendables : que des stars de la cogne et de la série B, qui rameutent autant de souvenirs épars, faits de soirées VHS-pizza, de collections de jaquettes aux slogans aussi musclés que leurs vedettes… C’est un fait : Expendables est un moins une œuvre cinématographique qu’un fantasme inconsidéré de cinéphile devenu, contre toute attente, réalité.
Tous à table !
Alors, forcément, dans un banquet aussi garni, il y a forcément à boire et à manger. Gérer un tournage sur plusieurs continents avec autant de stars différentes a dû impliquer une organisation draconienne (un Gouverneur qui passe en coup de vent, des stars du catch en tournée, de grands noms toujours entre deux tournages). D’une scène à l’autre, on sera frustré de ne voir qu’un cabotinage de Mickey Rourke, un rictus de Bruce Willis, une clé de bras de Randy Couture… Certes, chacun a son moment de gloire, sa scène « fan-club approved » que Stallone, co-scénariste, tente d’intégrer dans un tout cohérent. Mais cette difficile mécanique s’enraie à de nombreuses reprises, la faute à des dialogues aussi plats qu’un épisode de Plus belle la vie et à un montage pour le moins hasardeux qui, en plus de privilégier parfois l’ultra-cut au détriment de la lisibilité des combats, ne donne aucune sensation de progression narrative – un comble vu la simplicité déjà légendaire du scénario.
On passe ainsi sans sourciller de répliques lamentables sur la taille de Jet Li ou les oreilles de Couture, à LA scène culte par excellence, où les trois plus célèbres action-stars (Sly, Schwarzy et Brucie – eh oui, on se connaît bien, entre nous) tapent la discute dans une église. Le yo-yo se poursuit de cette manière pendant 90 minutes : on pourrait citer le monologue émouvant, car à double-sens, de Mickey Rourke, intervenant après une scène puérile sur le pros des couteaux (Statham toujours aussi bad-ass) qui démolit des loustics pour récupérer sa belle.
Mon cœur fait boom
Bien sûr, les garanties données par l’initiateur de cette grand-messe stéroïdée (revenir au bon vieux temps du film d’action sans prétention des 80s, soit en gros faire péter tous les décors et démembrer une centaine de figurants juste par plaisir régressif) sont respectées à la lettre : la dernière demi-heure est intégralement consacrée aux exploits guerriers des cinq mercenaires, qui à coup de flingues, de couteaux, de canon portatif, de lancer de missiles, de grenades et de close-combat, dévastent du sous-sol à la voûte l’intégralité d’une base militaire, ainsi qu’une galerie de méchants dominée par un revenant toujours aussi suave, Éric Roberts. Les cascades et les combats, assurés par les acteurs eux-mêmes, sont pour certains de vrais moments d’anthologie, à la fois secs, pétaradants et originaux.
De ce côté, le contrat est rempli, mais nos petits cœurs d’action-maniaques ne peuvent s’empêcher d’en demander plus (que voulez-vous, c’est ça l’amour. Enfin, l’amour viril, quand même) : de vrais personnages à défendre, une vraie mythologie, même esquissée, pour entourer cette brigade de mercenaires, des dialogues décents, une partition inspirée, une interprétation générale un poil plus maîtrisée plutôt qu’une succession maladroite de « punchlines » artificielles… Bref, un chef d’œuvre absolu plutôt qu’une série B. Mais on en demande peut-être un peu trop. C’était aussi le projet de Stallone avec ces Expendables : nous rappeler le plaisir des choses simples… Comme une bonne mandale dans la tronche.